LA 5G
L'AVIS DE L'ANSES
Un avis attendu !
Face aux demandes de moratoire sur le déploiement de cette nouvelle technologie, l’État, en la personne de son chef, a écarté toute inquiétude en qualifiant d'Amish les détracteurs de cette technologie, et, pour être plus clair, à l'attention de celles et ceux qui ne connaissent pas cette secte, en affirmant qu'ils refusent le progrès technologique, qu'ils veulent revenir à la lampe à huile. Pour notre part, nous ignorions que la lampe à huile permettait de téléphoner en 4G.
Le déploiement de la 5G se fait sur deux bandes de fréquences : 3,5 GHz (en fait entre 3,4 et 3,8 GHz) et 26 GHz (en fait entre 24,25 et 27,5 GHz). La première bande a été attribuée, ce qui a donné lieu à versement de 3 milliards d'euros des opérateurs à l’État. L'attribution de la seconde bande permettra également des rentrées de fonds conséquentes. Il n'est donc pas question de ce point de vue de remettre en cause le processus !
A l'attention de celles et ceux pour qui ces notions ne seraient pas familières, rappelons que la fréquence mesure le nombre de vibrations par seconde. 1 hertz (Hz), c'est une vibration par seconde. 1 gigahertz (GHz), c'est un milliard de vibrations par seconde.
La 5G est censée permettre une connexion sans précédent pour les usines, les véhicules autonomes, les objets connectés que l'on nous présentera comme absolument indispensables, et, cerise sur le gâteau, pour les particuliers, une plus grande rapidité de chargement des jeux et des vidéos sur leur téléphone.
En fait, un article du Monde relate l'enquête menée par des journalistes qui ont effectué des mesures en 50 points de l’Île-de-France pour comparer les réseaux 4G et 5G. Ils en tirent la conclusion que, concernant les usages courants d'internet (navigation, messagerie, réseaux sociaux, etc.), il n'y a aucune différence entre les deux générations. Le chargement de jeux ou de vidéos est plus rapide en 5G (jusqu'à 5 fois) dans 60% des cas, mais moins rapide dans 20% ! Le débit montant (envoi de fichiers) est plus lent en 5G qu'en 4G. Pas de quoi se précipiter pour changer son matériel et payer un forfait plus cher !
Pour les fabricants, c'est à terme la perspective d'un renouvellement plus rapide que prévu du parc de téléphones, surtout quand il sera question d'éteindre les réseaux 2G, 3G et 4G. Et pour les opérateurs, la perspective de vendre des forfaits plus chers, en les justifiant par un service soi-disant plus important. Qui est gagnant dans cette opération ?
Pour asseoir ce déploiement sur des arguments irréfutables, le gouvernement a demandé à l'ANSES (Agence Nationale de SEcurité Sanitaire) un avis, pas sur la pertinence du déploiement, bien sûr, mais sur les éventuels effets néfastes sur notre santé de ces nouvelles bandes de fréquences. L'ANSES est une agence d’État, qui propose une expertise scientifique. Nous étions prêts à parier que cet avis ne remettrait pas en cause le discours gouvernemental. Et nous avions raison.
Mais toutes celles et tous ceux qui en parlent doctement l'ont-ils lu ?
L'article de présentation.
Quand on arrive sur la page 5G du site web de l'ANSES, on découvre un article de présentation, et, en dessous, des liens vers le texte de l'avis (20 pages), vers celui du rapport qui le sous-tend (241 pages), ainsi que vers la consultation publique (jusqu'au 1er juin 2021).
L'article de présentation titre « Pas de risques pour la santé ». On n'en attendait pas moins de cette agence étatique. En fait, ce n'est pas si simple, et le titre complet fait apparaître quelques bémols : « Pas de risques nouveaux pour la santé ». Il y aurait donc des risques anciens ? Et même, il est temps de donner ce titre dans son intégralité : « Pas de risques nouveaux pour la santé au vu des données disponibles ». Il ne serait donc pas exclu que des données complémentaires remettent ce discours en cause ?
Le texte de l'article introduit un nouveau bémol :
« Il est peu probable que la 5G présente de
nouveaux risques ». Voilà qui relativise encore le
« pas de risques » du titre ! Et l'ANSES
d'avancer la nécessité de poursuivre les recherches.
Cela peut sembler une attitude de bon sens. Remarquons toutefois que
la mise au point d'un nouveau médicament nécessite à
la fin du processus d'étude de son rapport bénéfices/risques
une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Il en est de
même avec les nouveaux produits de l'industrie chimique, avec
l'application du règlement REACH (c'est le sigle anglais du
règlement européen, qui signifie en français :
enregistrement, évaluation et autorisation des substances
chimiques), règlement qui impose de faire la preuve de
l'innocuité du produit, ou à tout le moins de la
maîtrise des risques associés. C'est d'ailleurs le sens
du principe de précaution, introduit dans la Constitution.
Pourquoi pas dans le domaine de la téléphonie mobile ?
Pourquoi faut-il que nous prouvions les effets sanitaires des ondes
de la téléphonie mobile ? Pourquoi n'est-ce pas
aux opérateurs de prouver leur innocuité ?
Il faut
savoir que les compagnies d'assurances excluent de leurs garanties
les dommages causés par les champs électromagnétiques,
à l'instar d'ailleurs des produits radioactifs ou des OGM.
Notons enfin que cet avis de l'ANSES intervient alors que la 5G a
commencé à être déployée dans les
fréquences déjà attribuées aux
opérateurs.
Peut-être
pensez-vous que la recherche dans ce domaine vise à mettre en lumière
les risques sanitaires engendrés par cette technologie ? Raté : au
niveau européen, la part du budget de la recherche consacré aux
conséquences sur l'environnement et la santé des technologies de
l'information et de la communication (dont fait partie la téléphonie
mobile) est de ... 0,1% ! Le reste concerne les développements
technologiques. Où est la priorité ?
Le texte de l'avis.
Commençons par reproduire intégralement une phrase trouvée en page 9 de l'avis : « Aucun résultat d'étude scientifique s'intéressant aux effets éventuels sur la santé de l'exposition aux champs électromagnétiques spécifiquement dans ces nouvelles bandes de fréquences prévues pour le 5G n'est actuellement disponible. » Le groupe de travail constitué pour instruire le dossier a donc bidouillé à partir d'études sur d'autres bandes de fréquences, en extrapolant leurs résultats et en espérant que les conclusions qu'il en tire ont quelque validité scientifique.
De la même façon, page 4, on apprend qu'« une expertise s'intéressant aux effets cancérogènes des radiofréquences est en cours d'instruction à l'ANSES (toutes bandes de fréquences confondues ».
Page 12, on lit encore qu'« il existe une incertitude quant au rôle de la fréquence sur l'apparition d'effets biologiques et physiologiques chez l'Homme. »
Dans la même page, on lit aussi que « cependant, l'intermittence des signaux das technologies sans fil [ce que l'on appelle couramment les ondes pulsées] pourrait influencer l'ensemble des réponses biologiques. Ceci n'a été jusqu'à présent que peu investigué, et reste un questionnement dans l'évaluation des risques sanitaires. »
Résumons : l'ANSES nous dit qu'il n'y a probablement pas de nouveaux risques sanitaires, mais c'est parce qu'on ne sait rien sur l'effet des nouvelles fréquences, et qu'en ce qui concerne les fréquences déjà utilisées, on ne sait pas non plus, et qu'il faudrait de nouvelles études pour trancher dans le débat.
Il apparaît cependant que l'agence s'est rendu compte qu'avec une demande d'avis alors que le processus est déjà bien en marche, le gouvernement lui a fait un petit dans le dos. On trouve donc à la fin de l'avis (eh oui, il faut aller jusqu'au bout !), en page 19, la phrase suivante : « l'ANSES rappelle qu'il est souhaitable que le déploiement de technologies nouvelles soit soutenu par la réalisation d'études des liens entre exposition et impacts sanitaires préalablement à leur déploiement. » [C'est nous qui soulignons]
La fabrique de l'ignorance.
Nous l'avons rencontrée dans de nombreux dossiers traités par notre association : cette fabrique est à l’œuvre dès qu'un industriel, ou un opérateur, souhaite contrer des études scientifiques montrant pour le moins l'absence d'innocuité de leur produit ou de leur technologie. Des scientifiques, ou même parfois des personnes qui se prétendent telles, sont rétribuées pour produire des études aboutissant à l'absence de preuve d'un effet quelconque sur la santé. Puis des lobbys interviennent auprès des politiques en serinant que les scientifiques ne sont pas tous d'accord, qu'il n'y a pas de consensus, qu'on n'a pas apporté de preuve d'un effet sanitaire, et que donc on peut continuer ainsi. Ils sont souvent relayés dans cette croisade par des médias qui pensent pertinent de reproduire ces déclarations. Les politiques, ainsi d'ailleurs que les journalistes, n'ont que très rarement une formation scientifique qui leur permet d'avoir un œil critique sur ces jeux d'influence. C'est ainsi que l'on assène au grand public, vous et moi, des déclarations auréolées d'un vernis scientifique, c'est ainsi que l'on a développé une fabrique de l'ignorance.
Nous avons vu cette pratique à l’œuvre dans des dossiers sur lesquels nous avons travaillé, tels l'amiante, la radioactivité, les perturbateurs endocriniens ou encore les nanoparticules. Mais nous savons qu'elle fut utilisée, voire l'est encore, à propos du tabac, du plomb dans l'essence, du sucre ou du glyphosate.
Ce processus a été analysé en particulier par deux auteurs : Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l'INSERM, dans son livre « La Science asservie », et Stéphane FOUCART, journaliste au Monde, dans « Les Gardiens de la raison ». Ce dernier a également réalisé une vidéo, diffusée sur Arte, et maintenant disponible sur YouTube, « la Fabrique de l'ignorance », à laquelle nous avons emprunté le titre de ce paragraphe.
L'avis de l'ANSES peut être lu de ce point de vue : nous, on n'a trouvé aucun effet sanitaire. Mais si vous nous dites que d'autres en ont trouvé, il faut faire de nouvelles études ! Et pas prendre en compte celles existantes. Retardons, atermoyons, procrastinons, et pendant ce temps continuons à développer les profits des entreprises concernées !
Et pourtant, les associations spécialisées (CRIIREM, Robin des Toits, Priartem, Alerte Phonegate), ne cessent de faire référence à des études scientifiques. Celles-ci ont été rassemblées dans deux compilations : Bioinitiative, et Interphone.
Pour nous faire une opinion, évitons de croire le dernier qui a parlé, ou celui qui parle le plus fort, ou celui qui se drape dans un discours scientifique, ou encore celui dont le discours conforte notre point de vue, mais cherchons par nous-mêmes à écouter divers sons de cloche, à vérifier les références, à confronter les points de vue, à remettre en cause nos préjugés, à apprendre pour comprendre. C'est plus difficile que d'acquiescer à n'importe quel discours qui se présente, y compris celui qui est véhiculé par ce présent texte, mais c'est le prix à payer pour se forger une opinion solide, réfléchie, argumentée, crédible et transmissible. Une opinion qui a quelque chance d'influer sur le cours des choses, par notre action individuelle ou surtout collective.
Des micro-ondes pulsées.
A propos des ondes de la téléphonie mobile, on parle souvent de radiofréquences. Mais personne ne s'est jamais plaint des ondes de la radio ou de la télévision. Personne n'a jamais suspecté ces ondes d'être à l'origine de problèmes sanitaires, et pourtant nous baignons toutes et tous dedans depuis des décennies ! Le problème avec les ondes de la téléphonie mobile, c'est qu'il s'agit de micro-ondes pulsées.
D'abord, ce sont des micro-ondes. De la même famille que celles qui sont générées par les fours du même nom, et qui nous servent à réchauffer notre nourriture. Leur fréquence, ou leur longueur d'onde, sont telles qu'elles mettent en résonance les molécules d'eau contenues dans la nourriture, et leur agitation se traduit par l'élévation de leur température. Les ondes de la téléphonie mobile sont donc de nature à échauffer les tissus organiques qui contiennent beaucoup d'eau. Pour éviter de faire cuire notre cerveau, les téléphones doivent réglementairement afficher leur DAS, leur Débit d'Absorption Spécifique, mesuré en W/kg. L'association Alerte Phonegate a recensé 28 appareils qui dépassent la norme dans ce domaine, soit 2 W/kg en Europe (la norme est plus basse aux Etats-Unis !). On pourra en trouver la liste ici, avec les décisions des fabricants suite à l'alerte de l'association. Plus le DAS est bas, et moindre est le risque d'échauffement de notre cerveau, ou de tout autre organe contre lequel l'appareil est plaqué. Il convient donc, au moment de l'acquisition, de mettre en avant ce critère de choix. Et lors de l'utilisation, d'éviter de porter longuement à l'oreille ce petit four micro-ondes, et de préférer l'utilisation des écouteurs filaires. Pas l'oreillette Bluetooth, qui ne fait que changer le type d'onde, en utilisant une communication de fréquence 2,4 GHz, active en permanence.
Ensuite, il s'agit d'ondes pulsées. Ce caractère est utile pour qu'une antenne-relais puisse véhiculer simultanément de nombreuses communications. Un paquet d'ondes vers un premier appareil, un paquet vers un deuxième, un vers un troisième, retour vers le premier, et ainsi de suite. L'oreille de chaque utilisateur reconstitue un son continu alors qu'il s'agit d'une succession discontinue de paquets d'ondes. Mais en quoi cela pose-t-il problème ? Remarquons d'abord que cette pulsation est ce qui fait la différence pour un jet d'eau entre celui qui sort de votre tuyau d'arrosage quand vous arrosez votre jardin, et celui qui sort d'un jet dentaire et qui permet de déloger beaucoup plus efficacement les particules de nourritures logées entre vos dents. Ensuite, nous avons appris récemment que des chercheurs travaillant sur l'absorption des médicaments contre la maladie d’Alzheimer se heurtaient au problème de la barrière hémato-encéphalique. Celle-ci est en place pour éviter que le cerveau ne soit envahi par des molécules qui n'ont rien à y faire, par exemple des déchets véhiculés par le sang. Mais les médicaments anti-Alzheimer ne passent qu'à raison de 10% cette barrière. Et on ne peut augmenter les doses, en raison des effets secondaires. Les chercheurs ont eu l'idée d'utiliser les ultra-sons, qui servent dans certains cas pour l'imagerie médicale, mais des ultra-sons pulsés. Et là, bingo : le caractère pulsé amène la levée de la barrière hémato-encéphalique ! Le médicament passe en doses beaucoup plus importantes, et la barrière se referme peu après l'arrêt des ultra-sons. Or, ce caractère pulsé, cette fois des radiofréquences, est mis en avant par les chercheurs qui travaillent sur la possible survenue de cancers du cerveau, ou de retards de développement mental chez l'enfant, en lien avec les ondes de la téléphonie mobile. D'ailleurs, l'avis de l'ANSES lui-même indique en page 14 que « l'étude sur des membranes artificielles mettent en évidence des modifications à la fois structurales et fonctionnelles. »
Indépendante, vraiment ?
Dans l'introduction de son avis, l'ANSES indique qu'elle produit une « expertise scientifique indépendante ». Nous avons interrogé l'aspect scientifique, voyons maintenant ce qu'il en est de l'aspect indépendante.
Page 3, il est annoncé que « l'ANSES analyse les liens d'intérêt déclarés par les experts avant nomination et tout au long des travaux, afin d'éviter les risques de conflits d'intérêts au regard des points traités dans le cadre de l'expertise. » Très bien ! Enfin, presque : le fait de les analyser ne signifie pas que les experts ayant des intérêts, par exemple, chez tel ou tel opérateur, sont écartés des travaux de l'agence. Mais cette phrase est suivie du lien vers la page du site du ministère de la santé qui permet de prendre connaissance des déclarations de ces personnes. La liste des expert(e)s se trouve au début du rapport de l'ANSES. On ne peut être certain que tous ont déclaré tout ce qui doit l'être, mais au moins pourrons-nous nous faire une idée de ces intérêts. Sur la liste de 12 personnes, nous ne notons que 2 problèmes : Jürg Kesselring, qui n'a pas de fiche de déclaration (pourquoi ?), et Marie-Pierre Rols, qui est membre du bureau de nombreux organismes ou sociétés, mais toujours sans rémunération. Aucun(e) n'a de lien direct avec un opérateur de téléphonie mobile. Un relativement bon point.
Petite conclusion.
Cet avis est public. Même s'il est mis en consultation, il est peu probable qu'il évolue quant au fond suite à cette consultation. Et tout le monde de le commenter, en l'ayant lu ou pas.
Bien sûr, les représentants de l’État, des opérateurs et des fabricants vont se réjouir d'y trouver ce qu'ils y cherchent : il n'y a pas de risques ! Les scientifiques n'ont rien trouvé ! Il n'y a pas de preuve d'effets sur la santé ! Les opposants sont donc des anti-science, des idéologues du retour à la lampe à huile ! C'était la fonction première de cet avis.
Bien sûr, certains des opposants vont mettre en avant certaines phrases qui vont dans leur sens. Nous en avons relevé plusieurs, montrant qu'en fait on ne sait pas grand-chose de ces effets sanitaires, parce qu'on n'a pas cherché, et qu'il conviendrait une autre fois de mettre les bœufs avant la charrue. Une autre fois... Pour la 6G peut-être.
En attendant, beaucoup diront qu'au-delà de la possibilité de télécharger plus rapidement un film sur son téléphone, qu'au-delà de la maîtrise des véhicules autonomes, ce monde du tout connecté ressemble comme deux gouttes d'eau à celui de Big Brother dans « 1984 » d'Orwell. Si cet écrivain n'avait pas inventé l'internet, son monde très noir ressemblait bien à ce qui est en train de se développer dans une dictature comme la Chine de Xi Jinping, où le contrôle social s'appuie sur cette nouvelle technologie. Il est encore temps de se dresser contre cette perspective ! Notre association, qui travaille sur les risques technologiques, s'investit dans ce combat également.
N’acquiesçons pas à toute nouvelle technologie parce c'est moderne, parce qu'on nous la présente comme indispensable. La technologie est capable de produire des antibiotiques et des bombes atomiques, la télévision et le gaz moutarde, les vaccins et le glyphosate. C'est la société qui doit décider ce que l'on met en œuvre.
2ème version, mai 2021