COMPTE RENDU DE LA

CONFERENCE-DEBAT

LE 11 JUIN 2 011

SUR FUKUSHIMA

 

 

Une trentaine de personnes sont venu participer à cette manifestation, en salle culturelle de la médiathèque.

La séance était présidée par Hervé, qui a remercié les participants, puis présenté l’association Agir à Villejuif, France Nature Environnement, la fédération à laquelle nous sommes affiliés, et Maryse Arditi, notre intervenante, qui exerce des responsabilités au sein de FNE. Il a également présenté les questions que nous nous posons et auxquelles nous avons demandé à Maryse de répondre pour nous aider dans notre réflexion, questions qui tiennent à ce qui s’est passé à Fukushima, mais aussi à ses conséquences en France.

Pour plus de clarté, Maryse a scindé sa présentation en 2 parties, suivies chacune d’un temps de débat, d’abord le Japon, ensuite la France.

Ce qui suit n’a pas la prétention de l’exhaustivité, mais représente les éléments importants que nous avons retenus, sans dire que les éléments omis n’ont qu’une importance moindre, au contraire. Les participants sont invités à compléter ce document, ce qui le rendra plus représentatif de l’ensemble de l’apport de Maryse et du débat.

Le Japon.

A la suite du séisme, une vague de 14 mètres de haut a déferlé sur la centrale. Celle-ci était sécurisée pour une vague de 7 mètres. Et pourtant, dans les 3 derniers siècles, cette région a connu une vague de 35 mètres ! Les 6 réacteurs de la centrale ont été endommagés, les cuves fissurées, mais aussi 4 des piscines de refroidissement. Au total, 7 cœurs ont été endommagés, 3 dans leur cuve, 4 dans leur piscine de refroidissement. Pour représenter la gravité de l’accident, nous disposons d’une échelle de 1 à 7. 7 est la plus élevée, c’est celle de Tchernobyl. Tepco, l’opérateur de la centrale, a annoncé au départ un accident de niveau 4, puis est passé progressivement à 7. En termes de rejets de radioactivité, on en est actuellement à 20% des rejets de Tchernobyl. Mais l’accident est loin d’être terminé. Ces rejets, dans l’atmosphère, ainsi que dans l’eau de mer, ont provoqué des dégâts considérables. Les déchets radioactifs présents dans la centrale dégagent de la chaleur. Ils doivent donc être refroidis. Après la perte des circuits de refroidissement, les japonais ont essayé le largage d’eau par hélicoptère, rapidement abandonné pour inefficacité, puis la projection d’eau par camions citernes. Mais il s’agissait d’eau de mer, avec les problèmes posés par le sel (corrosion, prise en masse, …). Ils sont passés à l’eau douce, mais continuent à refroidir avec de l’eau qui est ensuite rejetée à la mer, ou stockée dans les sous-sols de la centrale.

Quand un cœur de réacteur vient à être découvert, il n’est plus refroidi, l’échauffement consécutif peut amener des températures supérieures à 1 000°C, et les gaines de zirconium s’oxydent alors avec l’oxygène contenu dans les molécules d’eau (comprenant oxygène et hydrogène), ce qui aboutit à un dégagement d’hydrogène, hautement explosif. Des explosions ont eu lieu, qui ont fissuré l’enceinte de certains réacteurs. Pour les éviter, il faut ouvrir les vannes pour lui permettre de s’échapper. Mais c’est aussi de la radioactivité qui est alors rejetée dans l’atmosphère…

Les autorités n’ont commencé à évacuer la population qu’au bout de 3 jours, et encore dans un rayon de 10, puis de 20 km autour de la centrale. En réalité, des zones tout aussi fortement irradiées, et qui auraient nécessité la même mesure, se trouvent à 40 km de la centrale. Ces autorités ont accepté une contamination exceptionnelle des aliments, arguant de la situation d’urgence. Concernant les doses prises par les travailleurs du nucléaire, la règle dans tous les pays est la limitation à 20 mSv/an (milli Sieverts par an). Plus exactement, c’est une moyenne sur 5 ans : limitation à 100 mSv en 5ans. Mais certains travailleurs intervenant dans la centrale ont pris des doses allant jusqu’à 700 mSv en quelques jours de travail… Il semble que, dans certaines zones, des travailleurs aient pris 1 000 mSv/h, ou 1 Sv/h. Ce qui est énorme ! Tepco cherchant à remplacer les premiers intervenants, épuisés, on a vu l’initiative de vétérans qui se sont proposés dans la mesure où la survenue de cancers dans 20 ou 30 ans ne les concernait plus. Ils ont réuni rapidement 250 volontaires !

Dans des cours d’école hors de la zone évacuée, on a trouvé des doses de 20 mSv/an. Pour comparaison, la limitation pour les personnes qui ne travaillent pas dans le domaine nucléaire est en France de 1 mSv/an, et on sait que les enfants, dont l’organisme est en formation, sont plus sensibles à la radioactivité que les adultes. Les autorités ont donc décidé de passer la limitation de doses pour les enfants à 20 mSv/an, mais ont dû reculer devant la mobilisation des parents, et procéder soit au nettoyage des cours d’école concernées, soit à l’évacuation de ces écoles.

Sur le plan de la communication, Tepco a lâché les informations au compte-gouttes. Il stocke actuellement 100 000 tonnes d’eau contaminée, mais il y en aura de l’ordre de 250 000 tonnes à la fin de l’année. Cette quantité augmentera tant qu’il n’aura pas réussi à rétablir le refroidissement en circuit fermé, c’est-à-dire tant que la situation de la centrale ne sera pas sous contrôle. Ce qu’il ne prévoit pas avant 2 012. Il y a autant de radioactivité dans cette eau que celle qui a été rejetée depuis le début de l’accident dans l’air et la mer. On cherche à la mettre en citernes, et AREVA se propose de la traiter (à 2 € le litre…).

3 cœurs de réacteurs ont fondu. On le sait parce que des jauges ont été rétablies, et indiquent que le niveau d’eau dans les cuves est très bas. Ce qui indique que tout le combustible a fondu, vraisemblablement dès la première heure suivant l’accident.

Les statisticiens avaient calculé l’occurrence d’un accident avec fusion d’un cœur de réacteur. On trouve ce calcul dans le rapport Rasmussen de 1975. Il indiquait une probabilité d’1 accident pour 1 million d’année-réacteur (l’unité est donc un réacteur fonctionnant pendant 1 an). Aujourd’hui, nous en sommes avec tous les réacteurs en fonctionnement ou ayant fonctionné sur la planète à 14 000 année-réacteur. Et nous avons enregistré 5 fusions de cœurs (1 à Three Miles Island, 1 à Tchernobyl, 3 à Fukushima). C’est plus de 300 fois la fréquence calculée …

Débat sur cette première partie.

-Comment se fait le traitement de l’eau contaminée ? Par floculation, pour récupérer les particules agglomérées, dans un filtre.

-Le sel est-il difficile à traiter ? C’est la raison pour laquelle Tepco a cessé d’utiliser l’eau de mer pour le refroidissement.

-AREVA a-t-il commencé le traitement de l’eau ? Pas encore. Le traitement envisagé devrait concerner 50 m3 par jour.

-Quel est le danger représenté par les cœurs solidifiés ? Le problème est de savoir ce qui a traversé les cuves, et qui a pu polluer les terrains avoisinants, et ce pour des milliers d’années.

-Tepco est-il une entreprise publique ? Non.

-A Tchernobyl, y a-t-il des villages abandonnés qui ont été de nouveau habités ? Non, mais certaines personnes ne sont jamais parties de leur domicile.

-Est-il vrai qu’à Fukushima il y a des réacteurs chargés au Mox (il s’agit d’un combustible qui comporte du plutonium) ? Un réacteur est chargé en partie au Mox.

-Pendant combien de temps les produits de la mer et de la terre seront-ils inconsommables ? Existe-t-il d’autres centrales identiques au Japon ? Il y a 7 centrales japonaises qui ont fait l’objet d’un arrêt. Concernant les produits de la mer, on compte sur la dilution, mais elle ne se produit pas au rythme attendu partout, cela dépend des courants. Pour la terre, on pourrait décaper. Mais quelle épaisseur ? Et que faire de la terre évacuée ? Ou on peut bétonner, mais alors on ne peut plus rien faire pousser…

-Le navire amiral de Greenpeace a pu se livrer à des mesures au large de la centrale. Alors que les autorités devraient donner bientôt l’autorisation de pêcher, il semble que ces mesures soient catastrophiques, que la contamination se dilue très peu. Elle atteindrait plusieurs curies par litres (une curie correspond à la radioactivité d’1 gramme de radium).

-Quelle est la place de l’erreur humaine dans cette catastrophe ? On n’aura peut-être des certitudes dans ce domaine que dans plusieurs années. Il semble cependant que les techniciens ne savaient pas bien manipuler cette centrale.

-Quelles sont les radiations les plus dangereuses ? Ce sont les plus difficiles à détecter, les radiations alpha. Elles ne font pas réagir les compteurs Geiger. Elles ne traversent pas plus de quelques centimètres d’air, mais si elles sont produites par des atomes ingérés, elles produisent des dégâts considérables dans l’organisme.

-Il y a une injustice, par ce qu’il semble que les travailleurs sous-traitants sont les plus exposés. Effectivement, ils sont moins bien protégés que les salariés de Tepco.

La France.

Dans  notre pays, il n’y a pas d’endroit sans centrale à moins de 300 km. Il y a 58 réacteurs en fonctionnement, et 11 arrêtés. Dans le monde, l’âge moyen des réacteurs arrêtés est de 22 ans. En France, les réacteurs sont prévus pour fonctionner 30 ans, mais on prépare l’idée de les pousser à 40, 50 voire 60 ans.

La réaction du gouvernement français à la catastrophe de Fukushima a été : on continue ! On va faire une vérification de sûreté dans le domaine nucléaire, mais uniquement par rapport aux problèmes naturels. L’attentat terroriste n’est pas envisagé. On a entendu Lauvergeon (dirigeante d’AREVA au moment de la conférence-débat) déclarer que si le Japon avait eu l’EPR, il n’aurait pas eu ce problème. Mais l’EPR n’existe pas encore ! Et sa prétendue plus grande sûreté est sujette à caution.

Le mouvement anti-nucléaire français se renforce. D’après un récent sondage, 60% des gens se prononcent pour une sortie progressive du nucléaire. L’Allemagne élabore un plan de sortie, la Suisse et l’Italie annulent leurs projets. En France, ce sera plus difficile, dans la mesure où 80% de l’électricité est d’origine nucléaire.

La France est entrée dans le nucléaire suite à la décision de Mesmer, qui n’y connaissait rien, mais a pris, après une matinée de consultation, la décision de construire 7 centrales par an, ce qui fait qu’en 90 il y avait déjà 49 réacteurs. Il n’y a jamais eu de débat parlementaire sur ce choix. Pour vendre l’électricité ainsi produite, il a fallu développer le chauffage électrique, implanté dans toute nouvelle construction. Ce développement était facilité par l’absence de conduit de fumée dans ces nouveaux logements. En 90, EDF faisait sa publicité avec le slogan : « Quand vous sortez, ne coupez pas votre chauffage électrique ! ». En 91, l’Etat a obligé EDF à modifier ainsi son slogan : « Quand vous sortez, coupez ou baissez votre chauffage électrique ! ». Mais la campagne de 91 était dotée de beaucoup moins de moyens financiers que la précédente…

Quelles ont été les mesures gouvernementales depuis le Grenelle de l’environnement ? Au cours de l’année 2 010 : délivrance des permis de recherche du gaz de schiste, débat public pour Penly 3 (l’EPR), les éoliennes deviennent des Installations Classées, et blocage de la filière photovoltaïque !

Le nucléaire nous apporte-t-il une indépendance énergétique ? L’uranium est importé en totalité, depuis la fermeture des mines en France. Contribue-t-il à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Il semble y avoir une part de vrai. Mais on ne peut ignorer que dans les mines d’extraction de l’uranium on utilise des engins qui fonctionnent à l’énergie fossile. De plus, les jours de grand froid, nous importons de l’électricité d’Allemagne, produite dans des centrales au charbon.

Qu’en est-il du coût de cette énergie ? Il est en progression constante. C’est d’ailleurs la seule filière énergétique dont le coût est ainsi en hausse. De plus, le nucléaire n’assure pas ses risques, il ne provisionne pas pour le démantèlement des centrales. Le coût de la gestion des déchets les plus dangereux explose. Enfin, la recherche dans ce domaine a cumulé une somme de 100 milliards d’euros, qui n’ont pas été à la charge de la filière.

Au premier rang des inconvénients de cette forme d’énergie, le risque d’accident. Mais le problème du stockage des déchets n’est pas encore résolu. Mentionnons également les risques de prolifération des armements nucléaires : on fait la bombe avec du plutonium, que l’on peut extraire des déchets.

Débat sur cette seconde partie.

-Est-il question d’arrêter Fessenheim ? Non.

-Quel est le pourcentage du nucléaire dans l’armement ? Il a diminué. En particulier, depuis le traité de non-prolifération, il n’y a plus d’essai, ni atmosphérique, ni souterrain. Ce qui est préoccupant, c’est le problème du terrorisme. L’endroit où on trouve concentré le plus de cœurs de réacteur est La Hague, où en sont stockés plusieurs dizaines.

-Si le mouvement anti-nucléaire se renforce, la participation à la manifestation qui était organisée le même jour en début d’après-midi pour la sortie du nucléaire n’a pas regroupé plus de 3 000 personnes.

-Le coût du pétrole n’augmente-t-il pas également ? Il faut donc développer une politique d’économie d’énergie.

-Le problème des gaz de schiste n’est-il pas plus important ? S’il n’y a pas une mobilisation citoyenne pour imposer un changement dans notre politique énergétique, nous aurons le nucléaire et les gaz de schiste !

En conclusion.

Hervé a remercié notre intervenante pour son apport, et a incité les participants à ne pas quitter la salle sans prendre le dépliant de présentation de notre association, et, pourquoi pas, y adhérer. Il a rappelé les trois conférences-débat que nous avons organisées : en 2 008, les sites pollués, avec Frédéric Ogé, chercheur au CNRS, en 2 009, les ondes de la téléphonie mobile, avec Etienne Cendrier, de Robin des Toits, et celle-ci sur Fukushima. Malheureusement, nous n’avons enregistré aucune adhésion au cours de cette réunion.