COMMENT L'ANFr NOUS ENFUME
Essai de décryptage de deux affirmations pseudo-scientifiques
Lors du débat qui a précédé le Conseil Municipal du 20 mai, Pascal PAGNOUX, représentant de l'Agence Nationale des Fréquences (ANFr) a fait deux interventions, dont la seconde en réponse aux questions et interventions précédentes. C'est lors de la seconde qu'il a avancé deux arguments chiffrés à l'appui de son point de vue très rassurant, deux arguments que nous qualifions de pseudo-scientifiques, que nous allons citer in-extenso et tenter de démonter.
Premier argument (à la minute 53 de la vidéo) : « C'est l'ingénieur qui parle. Une antenne émet à une distance donnée en espace libre : le champ décroît très très vite. Un cas particulier : vous êtes à 100 mètres d'une antenne, vous ne recevez pas 1/100è de la puissance, vous recevez 1/(100)2 ou 1/10 000è. »
[Note : (100)2, que l'on lit « 100 au carré », signifie 100 X 100]
Commencer par dire que c'est l'ingénieur qui parle, cela équivaut à dire qu'il sait beaucoup plus de choses que nous, qu'on doit donc lui faire confiance même si on ne comprend pas tout. Mais qu'y a-t-il à comprendre ?
D'abord, qu'est-ce que cette référence au mètre ? Si on se trouvait aux États-Unis, que l'on parlait en pieds, pourrait-on dire qu'à 100 pieds de l'antenne, on recevrait 1/10 000è de la puissance ? 1 pied ne mesure pas la même longueur qu'1 mètre, mais on recevrait la même puissance à 100 pieds qu'à 100 mètres ? Le mètre, ou le pied, ou la toise, ou le li, ou la lieue, ou toute autre unité de mesure, sont des constructions humaines arbitraires ! En fait, il confond la puissance (qui se mesure en watts W) avec la densité de puissance (qui se mesure en W/m2) : la puissance est ce qui caractérise l'émission, la densité de puissance ce qui caractérise la réception à travers une surface donnée.
Ensuite, on recevrait 1/10 000è de la puissance ? De quelle puissance ? Vraisemblablement, il veut dire de la puissance de l'antenne. Dans une minute, il parlera de la valeur du champ électromagnétique, mais maintenant il est question de puissance. Ce n'est pas la même grandeur physique. Ces deux grandeurs obéissent-elles à la même loi physique ? Diminuent-elles l'une et l'autre comme le carré de la distance à la source ? Nous n'en saurons rien.
De plus, si on ne sait rien de la puissance d'émission, on ne peut pas savoir ce que cela pourrait faire si on la divisait pas 10 000. Trouvera-t-on encore une valeur importante ou pas ? Cela dépend de cette puissance d'émission. Pour parler en termes de champ électromagnétique, 1 000 V/m divisé par 10 000 ne fait que 0,1 V/m, mais 100 000 V/m divisé par 10 000, cela fait 10 V/m. Ce n'est pas la même chose !
En fait, ce qui serait correct de dire, c'est que si on multiplie la distance à l'antenne par 100, on divise la puissance reçue par 10 000. Mais il faudrait donner la puissance d'émission de l'antenne, et la puissance reçue à 1m, à 10m, à 100m, pour que l'on puisse juger, pour que celles et ceux qui n'ont pas de connaissances scientifiques poussées puissent se faire une idée, ce qui ne fut pas le cas !
Second argument (à la minute 54 de la vidéo) : « Le niveau de champ est encadré, à 61 V/m. Depuis 5-6 ans, on a à peu près 3000 mesures qui ont été demandées par toutes les communes de France et de Navarre. Et on constate une médiane à 0,4 V/m. En fait, on est à plusieurs dizaines de fois du niveau en dessous duquel il faudrait obtenir une augmentation de température de 1° sur le corps humain, je parle bien d'effet thermique. »
Remarquons qu'il y a environ 36 000 communes en France, on est loin d'une mesure dans chaque commune, mais là n'est pas l'important.
Autre remarque : la dernière phrase est incompréhensible. Il convient vraisemblablement de la rectifier ainsi : « En fait, on est plusieurs dizaines de fois en dessous du niveau qui provoquerait une augmentation de température de 1° sur le corps humain, en termes d'effet thermique. » S'exprimer de façon intelligible dans de telles circonstances n'est pas facile, nous ne faisons pas de critique sur ce plan, nous rectifions comme nous pensons devoir le faire pour une bonne compréhension du propos.
Venons-en à cette affaire de médiane. A l'attention de celles et ceux pour qui cette notion ne serait pas familière, disons que la médiane est la valeur d'une série de valeurs ordonnées (par exemple par ordre croissant) pour laquelle on observe autant de valeurs qui lui sont inférieures que de valeurs qui lui sont supérieures. C'est une notion utilisée couramment en économie, où l'on parle par exemple du salaire médian dans une entreprise, ou dans un pays.
Prenons un petit exemple, bien loin des 3000 valeurs annoncées par notre intervenant, mais qui permettra de fixer les idées, et de voir en quoi l'argument était trompeur. Imaginons une série ordonnée de 3 mesures du champ électromagnétique : 0,2 – 0,4 – 0,5 V/m. Il y a 3 valeurs, la valeur médiane est 0,4 V/m, puisqu'il y a 1 valeur inférieure, et 1 valeur supérieure. Considérons maintenant la série ordonnée suivante : 0,2 – 0,4 – 6 V/m. La valeur médiane est toujours 0,4 V/m ! C'est-à-dire que la médiane ne nous renseigne en rien sur la valeur maximale enregistrée. Cela peut être aussi bien 0,5 V/m (acceptable sur le plan sanitaire) que 6 V/m (dangereux de ce point de vue !). C'est la principale tromperie contenue dans cet argument.
Il est vrai que la réglementation fixe le maximum à 61 V/m. Mais il s'agit d'une valeur tellement élevée qu'elle n'est jamais atteinte. Rappelons que l'Organisation Mondiale de la Santé (l'OMS) recommande la valeur limite de 0,6 V/m. Pour notre part, notre mesure la plus élevée se situe dans la rue Louise Michel : 6 V/m ! Si cette valeur est dix fois plus faible que la limite réglementaire, elle est dix fois plus élevée que cette recommandation de l'OMS.
Encore un point à relever : Pascal PAGNOUX, qui se plaît à répéter qu'il est ingénieur, pas médecin, accepte de parler des effets thermiques des ondes de la téléphonie mobile, mais pas des effets physiologiques autres, par exemple les effets cancérogènes ou de levée de la barrière hémato-encéphalique. Pourtant, les deux catégories sont des effets touchant le corps humain. Les premiers seraient du ressort des ingénieurs, les seconds de celui des médecins ? Qui a inventé une telle division du travail ? En fait, les effets thermiques peuvent être en général évités, en choisissant un appareil dont le DAS (le Débit d'Absorption Spécifique) est le plus bas possible, en évitant de téléphoner environné de métal (voiture, bus, métro, ascenseur), en privilégiant les messages-texte, et en utilisant les écouteurs filaires. En revanche, les autres effets physiologiques sont plus graves pour notre organisme, et refuser d'en parler, c'est tenter de les passer sous le tapis !
A travers les deux affirmations que nous avons tenté de décrypter, nous voyons à l’œuvre une tentative de désinformation, de minimisation des risques sanitaires auxquels la population est confrontée du fait de l'appétit de profit des entreprises de la téléphonie mobile, fabricants et opérateurs. La stratégie est claire : se présenter comme possédant les connaissances, agrémenter son discours d'assertions pseudo-scientifiques sans la moindre explication pour en mettre plein la vue de ses auditeurs, et conclure qu'en conséquence il n'y a aucun risque.
Apprenons à débusquer ces faux arguments, ces vrais mensonges, pour nous faire une opinion solide sur les débats de société auxquels nous sommes confrontés, pour ne pas être abusés par les fabricants de l'ignorance.