Conférence débat du 21
janvier 2017
Nucléaire : une
énergie d’avenir ?
La place du nucléaire
dans la production d’électricité
Fonctionnement d’une centrale
nucléaire
Une
centrale nucléaire est composée de plusieurs bâtiments et plusieurs circuits.
Le circuit primaire est situé à l’intérieur du bâtiment réacteur. Il contient
notamment la cuve, le pressuriseur et les générateurs de vapeur. C’est dans la
cuve que se produit la réaction en chaîne : un neutron vient frapper un
atome d’uranium 235, qui se casse en deux ou trois morceaux et libère d’autres
neutrons qui vont à leur tour fissionner d’autres atomes. En se cassant, les
atomes libèrent de l’énergie sous forme de chaleur. La chaleur produite chauffe
l’eau du circuit primaire. Cette eau passe dans un générateur de vapeur et
permet de chauffer l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur. Le
circuit secondaire sort du bâtiment réacteur pour entrer dans la salle des
machines. La vapeur alimente alors plusieurs turbines, qui font tourner un alternateur,
qui produit l’électricité envoyée sur le réseau électrique. Le circuit
tertiaire, alimenté par l’eau d’un cours d’eau ou de l’océan, permet de
refroidir le circuit secondaire.
1. Le nucléaire dans le monde
1.1.
Rappel des risques
Le
recours au nucléaire s’accompagne d’un certain nombre de risques, qu’on ne peut
occulter au vu des enjeux. Certaines personnes peuvent considérer que l’ampleur
des risques associés au nucléaire suffit à écarter ce mode de production de
notre mix énergétique, indépendamment de ce qu’il peut apporter par ailleurs.
D’autres peuvent considérer que les apports du nucléaire justifient d’accepter
les risques associés. L’objectif de la présente conférence n’est pas de
répondre à la question « pour ou contre le nucléaire » dans l’absolu,
mais d’aller au-delà et de regarder ce qu’apporte réellement le nucléaire pour
pouvoir mettre les risques en balance. On rappelle donc ici les principaux
risques, avant de passer à la suite de la présentation.
Il
existe trois grandes catégories de risques liés au nucléaire :
-
la
prolifération : historiquement, les technologies nucléaires ont été
développées pour un usage militaire. Les technologies nucléaires sont des
outils qui peuvent à la fois être utilisées pour un usage « civil »
ou pour un usage « militaire ». L’uranium et le plutonium se
retrouvent dans les deux usages. A titre d’exemple, on peut citer l’accord sur
le nucléaire iranien qui a été en discussion ces dernières années : il
s’agissait de réglementer des installations d’enrichissement d’uranium dont
l’Iran estimait avoir besoin pour faire fonctionner ses réacteurs de production
d’électricité (l’enrichissement de l’uranium étant nécessaire pour produire le
combustible de ses réacteurs). Cependant, la communauté internationale s’inquiétait
du risque que l’Iran détourne l’usage de ses installations pour enrichir de
l’uranium afin de fabriquer des bombes nucléaires. Pour rappel, le premier
changement climatique qui a inquiété au vingtième siècle n’était pas un
réchauffement, mais un refroidissement global de plusieurs degrés voire
plusieurs dizaines de degrés qui suivrait un conflit nucléaire de grande
ampleur.
-
l’accident
nucléaire : l’industrie annonce un risque très faible d’accident
nucléaire. Cependant, lorsque l’on comptabilise le nombre d’accidents s’étant
produits et qu’on le compare au risque annoncé, on constate que la fréquence
des accidents s’étant produits est 130 fois plus élevée
qu’annoncé. Ces accidents peuvent rendre des territoires inhabitables
pendant plusieurs générations. Ils ont aussi un coût conséquent qui peut
fragiliser l’économie d’un pays. L’Institut de Radioprotection et de Sûreté
Nucléaire a estimé le coût d’un accident majeur se produisant sur le territoire
français à plusieurs centaines de milliards d’euros. Après Tchernobyl (1986),
Gorbatchev a déclaré que l’accident, par l’ampleur de ses conséquences, avait
contribué à l’effondrement de l’URSS. Les risques d’accidents augmentent en
raison de différents facteurs : les installations vieillissent, les dérèglements
climatiques augmentent le risque de phénomènes météorologiques extrêmes pouvant
être sources d’accident, les développements technologiques rendent les
centrales plus vulnérables aux risques de terrorisme (cyber-attaques, drones…)
non prévus à la conception des installations.
-
la gestion des
déchets : l’utilisation du nucléaire génère différents types de déchets.
On peut citer l’uranium appauvri, dont les stocks mondiaux, qui augmentent
d’environ 50 000 tonnes par an, étaient estimés à 1,5 million de tonnes en
2013, ou les combustibles usées, extrêmement radioactifs qui s’accumulent à
hauteur de 300 000 tonnes. Ces déchets doivent être gérés sur des périodes très
longues (plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’années). Une partie
des matières est rejetée dans l’environnement, dans le cadre du fonctionnement
normal des installations, par voie liquide ou gazeuse. Enfin, des quantités
importantes de déchets sont attendues dans les décennies à venir, liées au
démantèlement des installations.
1.2.
Part du nucléaire dans le mix énergétique
Avant
de parler de la France, il est nécessaire de situer le nucléaire dans le mix
énergétique mondial, afin d’éviter une vision biaisée en raison de la
spécificité de la France dans ce domaine.
A
l’échelle mondiale, le nucléaire ne représente que 2% de la consommation finale
d’énergie. Sa part dans le mix électrique est elle aussi peu élevée (environ
10% en 2014), et en déclin. La moyenne d’âge des centrales est élevée. Étant
donné le peu de constructions en cours, la production nucléaire devrait
décliner dans les années et décennies à venir. Cette réalité n’est pas toujours
bien perçue car la mise en chantier ou la mise en service d’une nouvelle
installation est souvent très relayée dans les médias car ce sont de grosses
installations. La mise en service d’un panneau solaire ou d’une éolienne sera
bien moins médiatisée, bien que le cumul de toutes ces petites installations
soit finalement plus important que les quelques grosses nouvelles installations
nucléaires.
2. Le nucléaire en France
2.1.
Les centrales
La
France est le pays qui compte le plus de centrale nucléaire rapporté au nombre
d’habitants. 58 réacteurs nucléaires sont répartis dans 19 centrales. Parmi
elles, 4 sont proches des frontières, ce qui pourrait poser des problèmes dans
les relations internationales en cas d’accident, puisque des territoires des
pays voisins pourraient se retrouver contaminés. Un réacteur est en
construction.
2.2.
Part du nucléaire dans le mix
La
part du nucléaire dans l’énergie consommée en France n’est pas très élevée
(environ 17%). Par contre, si l’on ne regarde que l’électricité, la France fait
exception avec plus des trois quarts de sa production d’électricité provenant
de l’atome. Cette part élevée crée une forte dépendance à une seule source, ce
qui constitue une vulnérabilité du système électrique français en cas de
problème générique obligeant l’arrêt simultané de plusieurs centrales.
L’Autorité de Sûreté Nucléaire a d’ailleurs alerté à plusieurs reprises les
responsables politiques français sur la nécessité de garder des marges pour
être en mesure de faire face à ce type de situation.
2.3.
Les principaux acteurs
Avant
d’aller plus loin, rappelons les principaux acteurs du nucléaire
français :
-
EDF : c’est
l’exploitant des centrales nucléaires
-
AREVA :
c’est l’exploitant des installations nécessaires à la fabrication des
combustibles utilisés dans les centrales ainsi que de l’usine de retraitement
des combustibles usés. C’est également le fabriquant de gros composants forgés
et le concepteur de réacteurs. Cet exploitant est en très mauvaise santé
financière, proche de la faillite. Une réorganisation est en cours, une partie
de ses activités devant être reprise par EDF. Plusieurs milliards d’euros
devraient être injectés par le gouvernement français pour empêcher la faillite.
-
ASN : c’est
l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Elle assure le contrôle de la sûreté des
installations nucléaires.
-
IRSN :
c’est l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. C’est l’expert
public de référence, qui met notamment son expertise au service de l’ASN.
3. Prolongation du parc
3.1.
Le vieillissement des centrales nucléaires
Les
centrales nucléaires françaises vieillissent. Tous les 10 ans, l’exploitant
revoit la sûreté de ses installations, et en fonction des résultats du
réexamen, l’ASN donne ou pas son autorisation de poursuivre l’exploitation pour
10 ans de plus. Il s’agit des visites décennales. Environ 80 % des réacteurs
atteindront 40 ans de fonctionnement dans les 10 ans à venir. Cet âge est
particulièrement important car c’est la durée de fonctionnement des
installations prévue à la conception.
3.2.
Enjeux de la prolongation
Le
législateur a bien identifié que cette échéance était particulière dans la vie
d’une installation, et a imposé la tenue d’une enquête publique lors de la
quatrième visite décennale.
Dans
un premier temps, EDF ne comptait pas prolonger le fonctionnement de ses
installations après leurs 40 ans. L’entreprise envisageait plutôt de construire
de nouveaux réacteurs. Le changement de stratégie d’EDF, visant à exploiter les
réacteurs jusqu’à 60 ans, lui permet de repousser de 20 ans les investissements
nécessaires à de nouvelles constructions. L’ASN considère que pour autoriser
une éventuelle prolongation, le niveau de sûreté des réacteurs d’EDF devra donc
s’approcher du niveau de sûreté des installations qu’EDF aurait construit si
l’entreprise n’avait pas changé de stratégie. Atteindre ce niveau, si tant est
que cela soit possible, implique de réaliser d’importants travaux. Le coût de
ces travaux est annoncé à 55 milliards d'€ d’ici 2025 par EDF. La Cour des
Comptes estime, sur la base des donnée d’EDF, que le coût complet devrait être
de l’ordre de 100 milliards d'€. Les exigences de l’ASN n’étant pas encore
connues, ces chiffres sont amenés à évoluer.
3.3.
Interrogations sur la prolongation des certains réacteurs
Une
incertitude pèse particulièrement sur l’avenir de certains réacteurs :
-
Fessenheim :
F. Hollande s’est engagé à fermer cette centrale (2 réacteurs)
-
Bugey 5 :
ce réacteur est en arrêt de longue durée, en raison d’un taux de fuite trop
important de son enceinte de confinement.
-
Paluel 2 :
ce réacteur devait être la vitrine du grand programme de maintenance d’EDF,
appelé Grand Carénage. Au cours de ces travaux, un gros composant (près de 500
tonnes, haut comme un immeuble de 3 étages) qui devait être remplacé a chuté
dans le bâtiment réacteur. Cette chute était pourtant exclue des études de
sûreté d’EDF, considérée comme trop improbable pour être étudiée. Les dégâts
occasionnés ne sont pas encore connus.
Pour
les autres réacteurs, la possibilité d’étendre leur durée de fonctionnement au
delà de 40 ans n’est pas acquise, comme le répète régulièrement le président de
l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
4. Quel avenir pour le parc
nucléaire ?
4.1.
Capacité financière d’EDF
EDF
comptait initialement construire des réacteurs EPR à l’étranger. Leur
production aurait alors permis de financer le renouvellement du parc français.
L’échec de cette stratégie, liée au fait qu’EDF n’a pas réussi à vendre des
réacteurs à l’étranger, a poussé l’entreprise à revoir sa stratégie et à
souhaiter prolonger l’exploitation des réacteurs existants. Cependant, leur
éventuelle prolongation a elle aussi un coût important. EDF va devoir faire
face à une montagne d’investissements alors que ses capacités financières sont
fortement dégradées. L’entreprise n’aura probablement pas les moyens de
réaliser les travaux nécessaires à une prolongation au delà de 40 ans sur
l’ensemble des 58 réacteurs.
4.2.
Capacité industrielle
Ces
investissements interviennent dans un contexte de capacité industrielle
dégradée. Le tissu industriel fait face à des pertes de compétences, liées à la
fois à l’absence de nouvelles constructions, à une baisse des activités de
maintenance au début des années 2000, au recours à la sous-traitance, et à un
fort besoin de renouvellement des compétences en raison de départs en retraite
massifs.
Du
côté du contrôle, l’ASN et l’IRSN sont en manque d’effectifs pour assure le
contrôle de toutes les activités nucléaires dans des conditions satisfaisantes.
L’ASN est obligée de prioriser les dossiers et de retarder l’instruction de
ceux jugés moins prioritaires. EDF n’est pourtant pas encore entré dans une
phase de travaux massifs sur le parc.
4.3.
Objectif 50%
Contexte
politique
En
raison des nouveaux objectifs pour le nucléaire (50% de la production
d’électricité en 2025), les service des l’État estiment qu’il y aura un
non-besoin d’une vingtaine de réacteurs d’ici 2025.
Contexte
sûreté
Le
président de l’ASN estimait lors de ses vœux à la presse en 2016 que « le
contexte est préoccupant à court terme ». En 2017, à nouveau lors de ses
vœux à la presse, il déclarait : « Désormais, le contexte est
préoccupant, point ». Les enjeux sont régulièrement qualifiés par l’ASN
d’ « enjeux sans précédents ».
4.4.
Des arrêts nécessaires
EDF
n’a donc pas les moyens de prolonger l’ensemble de son parc. L’entreprise fait
face à des difficultés industrielles. Dans le cadre de l’objectif de 50% de
nucléaire dans la production d’électricité, des réacteurs devront être arrêtés.
La question qui se pose alors est de savoir s’il est pertinent de garder une
partie du parc en service, au vu des risques exposés en début de présentation.
5. Les alternatives
Faut-il
garder une partie du parc, et les risques qui vont avec, ou passer à un système
électrique sans nucléaire ? Un euro ne pouvant pas être investi à deux
endroits à la fois, des choix sont nécessaires.
5.1.
Scénarios de transition
Il
existe des scénarios montrant qu’il est possible d’évoluer vers un système
énergétique utilisant 100% d’énergies renouvelables. Le scénario négaWatt pose
le principe de sobriété, d’efficacité et de renouvelables comme base d’une
transition. Les scénaristes estiment que la sobriété (par exemple, mettre un
pull en hiver au lieu de pousser le chauffage et rester en manches courtes) et
l’efficacité (par exemple, isoler son logement pour avoir besoin de moins
d’énergie pour le chauffer) permettraient de baisser les consommations d’énergie
d’un tiers chacun. Le tiers restant à produire pourrait alors provenir
d’énergies renouvelables. Ils ont notamment modélisé heure par heure jusqu’à
2050 l’évolution du système électrique vers 100% renouvelables pour vérifier
qu’il était possible de maintenir l’équilibre entre la production et la
consommation. NégaWatt a publié son nouveau scénario le 25 janvier 2017.
5.2.
Coût des alternatives
Il
est important de comparer le coût des différents choix de mix énergétique,
plutôt que d’en désigner un seul pour montrer qu’il coûte cher. L’ADEME a
étudié différent mix électriques et en a évalué le coût. Elle arrive à la
conclusion que le coût global d’un système 100% renouvelables serait du même
ordre de grandeur qu’un mix avec 40% de renouvelables et 60% de nucléaire.
Au
delà du coût, il est intéressant de regarder la nature des investissements.
Dans le cas des énergies renouvelables, la petite taille des installations
permet un investissement citoyen. Les projets sont donc plus faciles à financer
qu’une grosse installation de plusieurs milliards d’euros. Par ailleurs, la
diversification des financeurs permet de partager le retour sur investissement
avec l’ensemble des acteurs de la société.
Au
niveau des emplois, les énergies renouvelables, et surtout l’efficacité
énergétique permet la création de plus d’emplois que le nucléaire.
5.3.
Investissements mondiaux
Dans
le monde, les investissements des années passées montrent déjà les choix
réalisés en matière de transition. Les investissements dans les énergies
renouvelables s’élèvent à plusieurs centaines de milliards d’euros, alors que
ceux concernant le nucléaire ne dépassent pas quelques dizaines de milliards.
En
Chine, la production d’électricité par les éoliennes et le solaire a dépassé
dès 2012 la production nucléaire. L’écart se creuse d’année en année. Bien que
la Chine utilise encore beaucoup trop de charbon, l’évolution a commencé :
plus de la moitié des nouvelles capacités installées chaque année sont
renouvelables.
5.4.
Quelques exemples
Dans
le reste du monde, de nombreux pays montrent d’ores et déjà des taux de recours
au renouvelable pour produire leur électricité très importants. Citons par
exemple : le Costa Rica (99%), la Suède (63%), le Danemark (48%),
l’Autriche (70%) ou encore le Portugal (52%).
L’exemple
de la Corée du Sud illustre de manière impressionnante le potentiel de la
sobriété et de l’efficacité énergétique. En avril 2012, en réaction à la
catastrophe de Fukushima qui a agit comme un électrochoc sur la population
sud-coréenne, Séoul a lancé le programme One
Less Nuclear Power plant. La ville ambitionnait de réduire sa consommation
de l’équivalent d’une centrale nucléaire. Son objectif a été atteint en juin
2014, soit 6 mois avant la date fixée. Forte de son succès, elle a lancé une
nouvelle phase en août 2014 : elle vise désormais une réduction de sa
consommation de 20% d’ici 2020, ce qui correspond à une baisse deux fois plus
importante que celle réalisée dans la première phase.