COMPTE RENDU DE LA CONFERENCE-DEBAT

« 200 ANS DE RISQUES INDUSTRIELS »

 

 

La soirée était animée par un membre de notre association. Elle a regroupé une vingtaine de participants.

Madame TAILLE-POLIAN a présenté le cadre de la soirée, c’est-à-dire le CIRT, son objectif, son fonctionnement et ses axes de travail.

Il y a eu ensuite une présentation des intervenants : Maryse ARDITI, responsable du réseau « risques industriels » de France Nature Environnement, et Marc SENANT, chargé de mission sur les risques industriels, également à FNE. Un représentant du monde syndical, dont la présence était annoncée, n’a finalement pas pu se déplacer.

Marc SENANT est intervenu sur les grandes catastrophes industrielles qui ont eu un impact sur l’évolution de la législation en la matière.

Intervention de Marc.

A Minamata, une usine a rejeté des composés de mercure dans la mer pendant des décennies. On n’avait alors pas conscience des impacts de tels rejets dans l’environnement. Mais de nombreux troubles neurologiques chez les animaux et les humains, ainsi que de graves malformations congénitales, ont abouti à la première reconnaissance d’une maladie professionnelle : l’hydrargyrisme, intoxication par le mercure. Cette affection était connue également chez les chapeliers, qui utilisaient le mercure pour travailler le feutre des chapeaux, d’où le chapelier fou d’Alice Au Pays des Merveilles.

En 1 976, l’accident de Seveso amène à la compréhension qu’il faut une politique de maîtrise et de prévention des risques. Des centaines d’enfants sont touchés par une maladie de peau, la chloracnée, due au contact avec les dioxines massivement rejetées lors de cet accident. Cela aboutit aux deux directives Seveso de 1 982 et     1 996, pièces maîtresses de la politique de prévention des risques en Europe. Les sites les plus dangereux sont depuis dénommés sites Seveso. En France, on en compte 1 200, dont 686 « seuil haut ».

En 1 984, l’Inde veut produire davantage de pesticides pour augmenter la production agricole. Dans les usines qui les produisent, on augmente les cadences et on diminue la sécurité. D’où l’accident de Bhopal, explosion d'une usine  américaine Union Carbide qui met en lumière quatre problèmes : la cohabitation des entreprises à risque avec les habitations, le problème de la formation des travailleurs au risque, la nécessaire information des populations, notamment sur les conduites à tenir en cas d’accident, et enfin l’organisation des secours.

En 2 005, l’accident de Buncefield en Grande-Bretagne, qui a vu l’incendie généralisé d’un dépôt d’hydrocarbures, a mis le facteur humain sur le devant de la scène : le dégagement de vapeurs d’essence, préalable à l’explosion, était dans le champ d’une caméra de surveillance, mais l’opérateur en charge de cette surveillance ne la regardait pas… C’est aussi le coût financier d’une telle catastrophe qui impressionne.

Et cette année, c’est la catastrophe de Fukushima, qui voit une contamination massive de l’environnement par la radioactivité.

En France également, de grandes catastrophes ont rythmé l’évolution de la législation :

En 1 794, c’est l’explosion de la poudrerie de Grenelle, qui occasionne un millier de morts. L’augmentation de la demande de poudre fait passer la production journalière de 3 à 16 tonnes, sans personnel supplémentaire. Cette catastrophe sera à l’origine de la première législation sur les risques industriels, en 1 810, même si ce texte reste encore axé sur l’idée de la nuisance à l’égard du voisinage.

En 1 966, c’est l’explosion de Feyzin, suite à une mauvaise manœuvre. Une fuite de gaz, une explosion, et c’est l’effet domino qui fait exploser de proche en proche plusieurs cuves. Cet accident montre le besoin d’un renouveau de la législation, qui sera effectif en 1 976 avec la loi qui crée l’étude de danger, l’étude d’impact (pollution du voisinage), et le corps des inspecteurs des installations classées. Aujourd’hui, 1 200 inspecteurs suivent 500 000 installations à risque.

Tous se souviennent de l’explosion d’AZF en 2 001. On relève 31 morts dans l’explosion d’un hangar d’engrais azotés. Cette explosion, qui ravage la ville de Toulouse, met en exergue l’impossible cohabitation des industries à risque et de la ville. L’émoi et la réflexion aboutissent à la loi Bachelot de 2 003, qui met en place un dispositif relatif aux 686 Seveso seuil haut. C’est la maîtrise de l’urbanisation. Plus seulement l’interdiction de construire de nouvelles maisons à proximité de ces sites, mais maintenant les expropriations pour les habitations les plus proches, et l’obligation de renforcement pour celles qui se trouvent à une distance moyenne. Ce qui pose un problème politique majeur, puisque d’une part les expropriations coûtent cher, et les travaux de renforcement sont à la charge des habitants. La loi impose une réduction des risques dans les usines, l’instauration des Comités Locaux d’Information et de Concertation (CLIC), et l’intégration de l’évacuation des riverains dans l’organisation des secours coordonnés par le préfet.

En conclusion, il n’est pas question pour FNE de pousser au départ de France de ces industries. D’ailleurs, ce serait pour des pays à la législation moins contraignante, personne n’y gagnerait. L’objectif est la réduction des risques. A ceux qui disent que cela coûte cher, il faut faire remarquer que cela coûte toujours plus cher de ne pas agir (exemple : l’explosion d’AZF a coûté plus de 2 milliards d’euros). Les accidents ont des conséquences humaines et financières importantes, ils connaissent une fréquence élevée (exemple dans le nucléaire : les accidents avec fusion du cœur se révèlent 200 fois plus fréquents que les calculs théoriques du début de l’ère nucléaire !). Les raisons en sont l’ignorance sur les produits ou les process, l’importance du facteur humain (fatigue, stress), le problème de la sous-traitance avec ses multiples échelons (méconnaissance du lieu et des risques, formation et consignes insuffisantes, problème de la langue), le fait que les risques chroniques se voient sur plusieurs générations, le rôle des facteurs extérieurs l’effet domino, difficile à modéliser), ce qui fait que nous assistons souvent à une logique de l’après-coup.

Premier débat.

Un participant aurait aimé que l’on parle de la silicose dans les mines de charbon.

Un autre rappelle que nous à Villejuif aussi l’on a de beaux accidents industriels : dans les années 1 930, un laboratoire qui travaillait avec des explosifs a explosé, faisant plusieurs morts.

Marc donne quelques éléments sur la dangerosité du perchloréthylène, utilisé dans les pressings.

Intervention de Maryse.

Les risques chroniques ont des conséquences sur le long terme, il y a là un effet retard. Pourquoi s’inquiéter de ces effets ? Après tout, on nous explique que nous gagnons 3 mois de vie tous les ans. C’est à mettre au crédit des antibiotiques et des vaccins. Mais parallèlement, on voit apparaître et se développer allergies, bronchiolites, cancers et hypersensibilité à certains produits chimiques. Certes, on guérit mieux du cancer, mais il s’en déclare de plus en plus.

Au cœur des questionnements dans ce domaine, le problème des faibles doses. On a bien étudié le problème des fortes doses, mais beaucoup moins celui des faibles doses. Il existe des produits avec seuil, comme le CO (monoxyde de carbone). Si on en respire un peu, on est un peu malade, si on en respire davantage, on est très malade, et si on en respire beaucoup, on est mort. Mais il existe des produits sans seuil, comme les atomes radioactifs. Plus la dose de radioactivité subie est forte, plus les risques de développer un cancer sont élevés, mais si la dose est faible, le risque, même faible, peut amener le déclenchement d’un cancer qui aura la même gravité. L’effet ne dépend alors pas de la dose.

Il y a également le phénomène des cocktails : un mélange de polluants qui se renforcent mutuellement. On considère qu’il y a 20 000 morts par an en Europe du fait de la pollution de l’air, dans lequel la multiplicité des polluants fait qu’il est illusoire de vouloir étudier l’effet de chacun d’eux isolément.

Dans les produits cancérigènes, il existe des promoteurs (par exemple l’amiante), et des développeurs.

Enfin, il convient de ne pas oublier les perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol, dont les molécules miment celles de hormones naturelles de l’organisme, et donc perturbent gravement ce dernier. Ils peuvent agir à très faible dose, puisque nos hormones sont elles-mêmes en très petite quantité dans notre corps.

Certains cancers permettent de remonter sans ambiguïté à leur cause. C’est le cas du cancer de la plèvre (enveloppe du poumon), le mésothéliome, causé exclusivement par l’amiante (3 000 morts par an en France). Cette maladie était connue dès 1 950, dénoncée dès 1 974 par les chercheurs de l’université de Jussieu, mais l’utilisation de l’amiante n’est interdite qu’en 1 996, en raison du rôle de frein joué par le Comité Amiante.

Le risque accidentel est davantage surveillé que le risque chronique. Nous avons donc à pousser pour la prise en compte des risques chroniques.

Débat.

Un participant demande aux intervenants de faire état de succès de FNE. Marc raconte son enquête sur le mercure, au nom du Bureau Européen de l’Environnement (auquel est affilié FNE). Lors d’un tour de France des sites utilisant (et rejetant) du mercure, il a détecté un site rejetant de l’ordre de 1 000 fois la norme. A force de ténacité, l’association locale des riverains et FNE ont réussi à faire mettre en œuvre une nouvelle technologie (pour la production de chlore) n’utilisant pas de mercure. Et comme il y avait des menaces de fermeture, la démarche a également abouti au maintien de l’emploi ! Maryse ajoute que lors du Grenelle de l’environnement, rien n’était prévu sur les risques industriels, et c’est FNE qui a obtenu une table ronde sur le thème.

Une autre participante parle des risques chroniques encourus par les agriculteurs, et surtout les viticulteurs, en raison de l’utilisation des produits de traitement. Maryse confirme l’augmentation des cancers de la vessie dans ces populations.

Madame TAILLE-POLIAN note une évolution de l’attitude des organisations syndicales sur ce thème. Arc-boutés précédemment sur la défense de l’emploi, ils développent actuellement une politique sur la santé au travail. Marc ajoute que les salariés sont les premiers concernés par les risques générés par leur activité.

Un participant note que de viser la non coexistence des industries et des habitations est un objectif compliqué. En effet, tant le patronat que les salariés souhaitent que la main-d’œuvre soit proche du lieu de travail. Marc souligne qu’il existe des marges de progression importantes dans ce sens. Mais il faut être conscient que l’amélioration de la sécurité est une question d’argent. Maryse rappelle les termes du décret de 1 810, selon lesquels, concernant les installations les plus dangereuses, l’objectif fixé dès cette date était leur éloignement des maisons. Aujourd’hui, on essaie de fixer des limites à travers les études de danger.

Pour un autre participant, la seule façon de lutter contre les risques est de mutualiser. Hervé lui répond que l’apport de nos intervenants tendait à montrer le rôle important que peuvent jouer les associations et les organisations syndicales pour amener les responsables politiques à prendre la mesure des risques industriels et à y réagir. C’est ainsi qu’à Villejuif a été créé le CIRT présenté par Madame TAILLE-POLIAN en début de réunion, Comité qui tente de prendre en charge au niveau local, et de façon originale, puisque non imposée par la réglementation, les risques auxquels nous sommes confrontés.

Un dernier participant demandait aux militants de FNE s’ils siégeaient dans les instances de concertation locale comme les CLIS. Maryse a répondu par l’affirmative, elle qui siège dans 4 de ces instances. Et Marc a ajouté que la présence de militants de FNE dans ces instances apportait une véritable plus-value pour améliorer le quotidien.