L'AMIANTE PRES DE CHEZ VOUS
Bonsoir à toutes et à tous, nous allons commencer.
Et merci d'être venus à cette conférence-débat organisée par l'association Agir à Villejuif. Notre association, qui existe depuis 2 004, travaille sur les risques technologiques dans notre ville, avec le double objectif de voir réduire, et même disparaître ces risques, ainsi que d'informer les populations. Ce soir, c'est notre sixième conférence-débat. Vous le savez, nous avons choisi de traiter le thème de « l'amiante près de chez vous ».
Le thème vous sera présenté en 4 volets. Le premier, c'est la présentation du tueur en série. C'est le côté scientifique des choses, qui sera traité par Isabelle MARTIN, trésorière de l'association. Le deuxième, c'est l'histoire des alertes sur la dangerosité de ce produit, et des luttes sociales qui ont mené à son interdiction. C'est le côté historique, qui sera traité par Yves VAUNAIZE, président de l'association. Le troisième, c'est la présentation des maladies induites par l'amiante. C'est le côté médical, pour lequel nous avons fait appel à Rakia ABDOURAMANE, docteur en sciences biologiques, spécialiste de santé publique, du Muséum National d'Histoire Naturelle. Enfin, le quatrième, c'est ce qui donne son titre à l'ensemble de la conférence : l'amiante près de chez vous. C'est le côté risque au quotidien, qui sera présenté par moi-même, Hervé CORNE, secrétaire de l'association.
Chaque intervention durera environ 15 minutes, donc l'ensemble de la conférence environ une heure. A son terme, nous serons heureux de dialoguer avec vous.
Je passe donc la parole à Isabelle.
1è partie : portrait d'un tueur en série
1 - D’où vient l’amiante ?
Le mot amiante vient du grec "amiantos", qui signifie "imputrescible". L'ancien nom français était asbeste, qui vient d'asbestos. L’idée est similaire puisque ce mot signifie «indestructible». Cela nous donne déjà une idée de l’usage avantageux que l’industrie en fera !
L'amiante est un composé minéral de la famille des silicates. Plus précisément un silicate de magnésium. C’est une famille de minéraux fibreux et cristallins extraits des roches dites "métamorphiques".
Ces roches métamorphiques sont issues de la transformation de roches préexistantes, sédimentaires, magmatiques ou déjà métamorphiques. Elles font suite à des changements physico-chimiques du milieu où elles se trouvent. Cette transformation résulte de l'élévation de la pression et/ou de la température. Lorsqu’une plaque continentale s’enfonce sous une autre, par exemple.
L’amiante est donc une matière naturelle d’origine métamorphique et c’est sa structure cristalline et la grande finesse de ses fibres qui vont lui conférer des qualités exceptionnelles et dépasser de loin celles des matières fibreuses artificielles comme la laine de roche, les fibres de verre ou les fibres de céramique.
Le minéral fibreux qui nous intéresse est extrait de mines. Il se trouve qu’il est très répandu à la surface du globe. Ce qui explique entre autres raisons son usage intensif. Après son extraction, il est mécaniquement transformé en fibres minérales utilisables industriellement.
Ces fibres sont extrêmement fines : leur diamètre est de 0,02 à 0,1 micromètre. Ce sont des millièmes de millimètre ! A titre de comparaison, elles sont 400 à 2000 fois moins épaisses qu'un cheveu, donc bien sûr invisibles dans les poussières de l'atmosphère. Leur longueur maximale est de 30 micromètres.
Elles constituent un ensemble formé de plusieurs dizaines ou centaines de fibrilles, qui lui donnent ses propriétés d'absorption et d'isolation.
2 - Les catégories d’amiante
Il y a plusieurs catégories d’amiante, qu’on divise en deux groupes.
Le premier groupe est celui des serpentines, un amiante blanc appelé chrysotile, utilisé dans l’industrie, contrôlé dans certains pays et interdit dans la plupart des autres. Ce groupe est le plus important. Il représente 94 % de la production mondiale d’amiante.
Le 2e groupe est celui des amphiboles dont deux sont très utilisées dans l’industrie : d'abord, l’amosite, un amiante bleu qui correspond à 2% de la production mondiale. Ensuite, la crocidolite, un amiante brun, qui représente 4% de cette production.
On trouve aussi dans cette catégorie des pierres semi-précieuses (jade - trémolite, actinote, œil de tigre - crocidolite en association avec du quartz). Les fibres étant emprisonnées dans d'autres minéraux, cela rend l’amiante inoffensif.
Selon les régions du monde, on trouve les unes ou les autres de ces espèces. Les gisements du Québec, par exemple, sont riches en chrysotile, alors que l'on rencontre principalement de la crocidolite au Brésil.
Les plus gros producteurs par ordre décroissant sont: la Russie, la Chine, le Brésil, le Kazakhstan et le Canada.
En 2011, la Russie produisait 1 000 000 tonnes, la Chine 440 000 tonnes, le Brésil 302 000 tonnes, le Kazakhstan 223 000 tonnes et le Canada 50 000 tonnes.
3 – De quand date sa découverte et son usage ?
Il nous faut remonter jusqu’à l’Antiquité.
Son premier emploi remonterait à 2500 ans avant notre ère. Il servait à renforcer les poteries en argile.
Les Grecs, depuis plus de 2000 ans, se sont intéressés à ses propriétés et l’utilisaient pour confectionner des étoffes, des vêtements funéraires ou des mèches des lampes à huile. Les Égyptiens connaissaient aussi ce minéral. Ils faisaient des suaires pour les Pharaons défunts. Les étoffes étaient également utilisées par les plus aisés des Romains. Les Perses l’utilisaient comme nappes, que l’on nettoyait en les jetant au feu d’où elles sortaient indemnes. On raconte que Charlemagne en aurait eu une en sa possession, et aurait impressionné ses invités en jetant la nappe d'amiante sale au feu pour la nettoyer ! Au XIVe siècle, le roi Charles V en fait autant pour en démontrer les pouvoirs magiques.
Voici également ce qu’écrit Marco Polo dans Le Devisement du Monde en évoquant une province du nord de la Chine :
« Une montagne où l’on trouve des salamandres, je vous rappelle que la salamandre est un amphibien légendaire qui était réputé pour vivre dans le feu et s'y baigner, des salamandres écrit-il dont on fait des étoffes, lesquelles étant jetées dans le feu ne sauraient être brûlées. […]. On trouve sur cette montagne certaine mine de terre, qui produit des filets ayant aspect de laine, lesquels étant desséchés au soleil, sont pilés dans un mortier de cuivre ; ensuite on les lave, ce qui emporte toute la terre ; enfin, ces filets ainsi lavés et purifiés sont filés comme de la laine, et ensuite on en fait des étoffes. Et quand ils veulent blanchir ces étoffes, ils les mettent dans le feu pendant une heure ; après cela elles en sortent blanches comme neige et sans être aucunement endommagées. C’est de cette manière aussi qu’ils ôtent les taches sur ces étoffes, car elles sortent du feu sans aucune souillure. Fin de citation
Depuis le XIVe siècle, les potiers Corses utilisent les fibres d’amiante mêlées à l’argile pour confectionner des marmites. En France, un dictionnaire du XVIIIè siècle cite aussi le « liège fossile » ou « liège de montagne » qui n’est autre que l’amiante.
4 - Les propriétés de l'amiante
Vient l’époque contemporaine et l’essor de l’industrie qui va exploiter les multiples propriétés qu’offre l’amiante. On en trouvera une multitude d'applications et on en fera une utilisation massive. On estime à plus de 3 500 le nombre de produits dérivés contenant de l'amiante.
Passons en revue ces propriétés physiques et chimiques exceptionnelles pour ne pas dire miraculeuses.
Les propriétés thermiques :
L’amiante est un excellent isolant et il est ininflammable. Il résiste à des températures atteignant 400° C, voire 1000° C sur une courte durée.
Les propriétés chimiques :
L’amiante se mélange aisément aux liants organiques et inorganiques. De plus, il résiste à la plupart des produits chimiques agressifs dont les acides.
Les propriétés mécaniques :
Résistance à la traction, à la flexion, à l’usure… et à l'abrasion……tout en ayant une haute élasticité.
Ces fibres sont plus solides qu’un fil d’acier.
On peut continuer sur les qualités d’isolant acoustique, celles d’une haute capacité d’isolation électrique. L'amiante ne se dégrade pas, il est imputrescible, il ne rouille pas, il est idéal pour le tissage (le blanc comme le bleu), il possède un grand pouvoir absorbant. Il peut être filé et tissé. L’industrie textile a d'ailleurs rapidement repéré que les fibres de chrysotile sont plus soyeuses et plus aptes au tissage que tout autre matériau.
Et tout cela pour un coût peu élevé.
Merci Isabelle, je passe maintenant la parole à Yves.
2è partie : un peu d'histoire
Bien que les vertus pare-feu de l’amiante soient connues depuis l’Antiquité, je ne remonterai pas aussi loin pour vous en parler… Quoi que ! Quoi que !
Dès l’Antiquité, on en connaissait déjà les dangers !
Le Romain Pline l’Ancien s’extasie devant ses propriétés mais il remarque aussi les dommages aux poumons dont souffrent des esclaves chargés du tissage de vêtements d’amiante.
Les deux guerres mondiales ont favorisé la progression de l’amiante. On l’utilise dans la sidérurgie et la métallurgie comme tabliers, gants, vêtements et draps pour recouvrir des pièces de métal chaud, en flocage à bord des bateaux puis dans les bâtiments publics, et enfin en fibrociment pour les toitures.
Pourtant dès 1918 les assureurs américains refusent d’assurer sur la vie les travailleurs de l’amiante et rechignent à assurer les entreprises qui l’extraient.
A partir de cette époque l’industrie choisit de mentir, de nier les études scientifiques défavorables, de lutter contre les réglementations, d’acheter, de corrompre ou de menacer ceux qui entravent son expansion.
Aussi ce n’est qu’en 1931 qu’apparaît en Angleterre la première réglementation visant à limiter les doses de poussière d’amiante respirée par les travailleurs.
En France, aucune loi avant 1945. Cette année-là, un tableau de maladie professionnelle est créé pour l'amiante. L'employeur ne peut plus ignorer le risque.
En 1950 l’asbestose est reconnue en tant que maladie professionnelle. Mais les premières études sur les cancers dus à l’amiante inquiètent les industriels. C’est en 1960 qu’un docteur d’Afrique du Sud les découvre. Son équipe fait aussi état de nombreux décès dans la population générale, démontrant ainsi les conséquences des poussières d’amiante dans l’environnement.
Aux États-Unis, en 1964, l’Académie des Sciences a organisé une conférence internationale sur les effets de l’amiante. Suite aux révélations des scientifiques, l’onde de choc fut terrible car les Américains avaient isolé à l’amiante jusqu’aux appartements.
L’industrie fut attaquée de toutes parts dans un combat juridique qui n’est pas terminé. C’est le plus grand procès de l’histoire contre l’industrie américaine.
A cette époque, alors que l’Hexagone est en retard sur la plupart des pays industrialisés, les industriels estiment ne pas avoir de comptes à rendre car personne ne les y force. Par contre en 1971 les organisations patronales anglo-américaines se réunirent à Londres pour « préparer leur défense».
C’est donc de l’extérieur qu’en 1974 la contestation s’est faite en France en partant la faculté de Jussieu. Le flocage ayant entraîné la mort de professeurs.
Un collectif intersyndical mène une enquête qui révèle les ravages de l’amiante dans les chantiers navals, l’industrie, les mines. Il s’élargit et se transforme ensuite en comité anti-amiante. Il est animé par Henri Pézerat. Ce chercheur au CNRS, toxicologue, pensait que les travailleurs étaient les sentinelles du risque toxicologique tant professionnel qu'environnemental, en tant que premiers, et souvent les plus touchés par des polluants.
Peu après ce comité est intervenu pour soutenir les salariés d’Amisol, une petite entreprise de textile d’amiante à Clermont-Ferrand. L’usine compte déjà onze décès liés à l’amiante.
La campagne de presse est d’une rare violence et oblige le gouvernement à légiférer et en 1977 deux textes de loi interdisent le flocage et fixent une valeur maximale d’empoussièrement.
Mais comme les industriels avaient utilisé des arguments fallacieux, parfois ridicules pour continuer à produire des objets en amiante, la loi n’interdit pas l’amiante.
Pour le flocage un autre procédé mis au point par les frères Blandin existait et était utilisé depuis 25 ans dans les tours de la Défense, le RER, les aéroports, jusqu’à ce que Saint-Gobain, géant de l’amiante, leur achète pour ne plus l’utiliser.
Entre 1977 et 1997, date d’interdiction de l’amiante, rien d’important n’a changé pour les travailleurs de l’amiante. Dans l’Hexagone vingt et une entreprises transformaient couramment l’amiante.
En 1982, sur une idée originale de Dominique Moyen, directeur de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité), personne liée aux industries de l’amiante, a été créé le CPA, le Comité Permanent Amiante. L’INRS dépend de la Sécurité sociale et est géré paritairement entre patronat et syndicats.
Officiellement ce comité se situe dans le cadre de la recherche des risques et de la bonne utilisation de l’amiante.
Mais en fait c’est un véritable lobby au service des industriels de l’amiante.
Il a regroupé des scientifiques, des membres des ministères, des syndicalistes et d’éminents professeurs en médecine.
L’un de ceux-ci, patron de la commission des maladies professionnelles, s’est évertué pendant 15 ans à rejeter les demandes d’indemnisation des victimes de l’amiante.
Le comité a minoré le nombre de décès et de maladies dues à l’amiante.
Au moment des révélations sur les découvertes des locaux et écoles amiantés, c’est vers lui que l’État a envoyé ceux qui ne savaient pas comment traiter l’amiante.
De fait il est devenu l’interlocuteur privilégié par l’État
En 1988 ce comité a rejeté les produits qui auraient pu remplacer l’amiante en avançant de faux prétextes.
Fort de son succès dans l’Hexagone, le CPA, avec l’aide de l’État, a proposé et développé son « activité internationale » dans de nombreux pays.
En 1995 il a été brutalement dissous après que les groupes d’opposition à l’amiante l’ont discrédité et prouvé qu’il était un lobby. S’en est suivie une enquête judiciaire.
En 2012 quatre de ses dirigeants, dont le directeur, ont été traduits en justice.
Mais en 2013 la Cour d’appel de Paris a annulé leur inculpation, prétextant que leur culpabilité était « non établie puisque cela se faisait dans le cadre de la recherche ».
Durant cette période, parallèlement à l’industrie, des scandales ont éclaté dans des écoles publiques aux plafonds calfeutrés d’amiante. En 1994, à Gérardmer dans les Vosges, la mort de 6 enseignants relance le débat.
A partir de 1996, de tous les coins de l’Hexagone, les plaintes s’abattent sur l’industrie. Les plaignants se sont regroupés au sein de l’ANDEVA l’Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante.
Le cabinet de ses avocats a à son actif plus d’un millier de condamnations d’entreprises.
Les procès ont lieu dans une ambiance pénible et dramatique. Il y a les victimes souvent très malades, certaines avec masque à oxygène, qui ont tenu à venir témoigner pour voir leur entrepreneur condamné.
C’est donc sur la base de tous ces drames, de toutes ces maladies, de toutes ces morts, de tous ces scandales, de toutes ces contestations, ces luttes, ces expertises scientifiques, que sera adopté en décembre 1996 le décret 96-1133 qui interdit la fabrication, l’importation et la vente de l’amiante sous toutes ses variétés.
Cette interdiction met un terme à l’utilisation de ce poison, mais pas aux souffrances des malades. Les actions se poursuivent sur le plan juridique.
A Dijon en décembre 1997, Eternit est condamné pour « faute inexcusable ». C’est la première condamnation d’une série de plusieurs centaines.
Les industriels forment des pourvois auprès de la Cour de Cassation. Le 28 février 2002, les réponses des magistrats de cette Cour tombent, elles sont accablantes pour les industriels. Les trente pourvois sont rejetés et les maigres arguments de l’industrie sont laminés. La faute inexcusable est reconnue. La grande presse qualifie l’arrêt d’historique ou évoque une révolution.
En mars 2000 la faute de l’État est reconnue par le tribunal administratif de Marseille et en 2004 le Conseil d’État officialise la faute de l’État par un arrêt.
Devant le raz-de-marée que constituent les condamnations d’industriels, les pouvoirs publics décident de créer un fond d’indemnisation, comme pour les victimes de l’affaire du sang contaminé. Ils créent le FIVA (Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante).
S’en est suivie une bataille où les tribunaux se sont montrés favorables pour indemniser les salariés.
Si les entreprises sont rapidement condamnées pour « faute inexcusable », les mises en examen ne montent pas plus haut que les directeurs des usines concernées.
En conclusion, depuis 2003 la bataille juridique n’en finit pas. A ce jour, partout en France, des travailleurs luttent pour faire reconnaître qu’ils ont travaillé en utilisant de l’amiante ou en zones amiantées. De la tour Montparnasse aux entreprises de la métallurgie, en passant par les métros ou les wagons du RER, l’inquiétude ou la mobilisation continuent.
Mais les remises en cause du patronat ou de l’État n’en finissent pas non plus.
A partir d’octobre 2011 la Justice condamne des centaines de travailleurs à rembourser les indemnités versées par le FIVA. En décembre, le ministre du travail généralise cette décision.
Presque au même moment, la Cour d’Appel de Paris a annulé la mise en examen des anciens dirigeants d’Eternit. Alors qu’en 2012, en Italie ceux-ci avaient été condamné par contumace à 16 ans de prison dans le « plus grand jugement de l’histoire de l’amiante ». Même une condamnation symbolique leur a été épargnée en France.
Quant à Amisol, en 2013 la Justice a prononcé un non-lieu dans la mise en examen de l’ex-PDG, qui était aussi le premier patron à être mis en cause pour l’usage de l’amiante.
Pour Jussieu, en juillet 2014, la Justice a annulé la mise en examen de 9 personnes dont l’ancien directeur général de la Santé.
En Europe, si plusieurs pays ont interdit l’amiante, en mars 2009, la Commission européenne a assoupli cette interdiction dans l’industrie. Des dérogations sont permises sans limitation dans le temps. Au niveau français comme européen ou mondial, l’action n’est donc pas terminée pour aboutir à une interdiction totale de cette activité et donc de la dissémination de ce poison.
Merci Yves, je passe maintenant la parole à Rakia.
3è partie : des maladies terribles
L’amiante présente un risque majeur pour la santé des personnes lorsque les fibres se détachent des matériaux et se propagent dans l’air. De nombreux document, études et rapports publiés depuis le début du XXème siècle constituent la preuve d’une connaissance très ancienne des dangers de l’amiante.
En France, dès 1930, des scientifiques publiaient dans la revue <<Médecine du travail>> plusieurs recommandations précises en direction des industriels utilisateurs d’amiante sur les mesures à prendre en milieu industriel afin de supprimer les poussières d’amiante.
Le docteur DHERS, en 1946, écrivait dans la revue « Archives des maladies professionnelles de médecine du travail et de sécurité sociale » à propos d’une enquête sur les conditions de travail des ouvriers calorifugeurs employant la fibre de verre :
<< l’amiante, qui est agréable à travailler, ne provoque aucun trouble gênant en apparence mais est, par contre, fort dangereux par la pneumocomose spécialement qu’il provoque, connue sous le nom d’Asbestose, d’évolution plus sévère que la silicose et qui est plus rapidement mortelle>> Quand aux risques d’un cancer, en particulier pleural, il est bien identifié depuis une quarantaine d’années.
Les premiers cas de fibrose pulmonaire ont été décrits en 1960 par l’Inspecteur Denis Auribault chez des personnes exposées, et cela après une étude sur des cas mortels survenus parmi les travailleurs après quelques années d’exposition aux fibres d’amiante dans l’usine de Condé-Sur-Noireau dont a parlé Yves.
Par la suite, toutes les études ont confirmé les risques graves, en particulier cancéreux, pour les salariés exposés à l’amiante.
Les trois principales maladies reliées à l’exposition aux fibres d’amiante sont :
L’ASBESTOSE : L'asbestose n'est pas un cancer. C'est une maladie provoquée par une exposition massive aux fibres d'amiante. Les fibres qui s'accumulent dans les alvéoles des poumons vont être enveloppées de tissu cicatriciel, ce qui va rendre les poumons de moins en moins élastiques.
La personne atteinte d’asbestose va présenter des difficultés à respirer, des essoufflements. La période de latence est de 15 à 20 ans après la première exposition aux fibres d’amiante.
L’ASBESTOSE est une maladie irréversible qui continue à évoluer, même longtemps après l’arrêt d’exposition aux fibres d’amiante. De plus il n’existe pas de traitement susceptible de faire régresser le processus.
LE MESOTHELIOME
LE MESOTHELIOME est une forme rare de cancer de l’enveloppe des poumons, de la cavité abdominale, et du cœur, dont les principaux symptômes sont l’essoufflement et l’apparition des douleurs abdominales. Il ne connaît pas de seuil en termes d'exposition : une seule fibre d'amiante peut provoquer un mésothéliome.
Le mésothéliome, dont la principale cause est l’inhalation de fibres d’amiante n’apparaît que 30 à 40 ans après l’exposition initiale à l’amiante. Si d'autres cancers peuvent avoir diverses causes, le mésothéliome est une signature de l'exposition à l'amiante. Le traitement du mésothéliome est essentiellement médical et son bénéfice en termes d’espérance de vie semble très limité (14 à 16 mois)
LE CANCER DU POUMON : L’exposition aux fibres d’amiante multiplie par cinq le risque de développer un cancer du poumon. Le risque devient cinquante fois plus élevé si l’exposition à l’amiante est associée à l’usage du tabac.
Comme pour l’asbestose, le cancer du poumon se déclare de nombreuses années après l’exposition initiales aux fibres d’amiantes, soit environ 30 à 40 ans plus tard.
Les plaques Pleurales : Sur une radiographie, elles apparaissent comme des opacités allongées, de contours nets, de densité égale à celle de l'eau, parallèles à la paroi latérale du thorax, ou comme des opacités paraissant se projeter en plein parenchyme pulmonaire, de contours irréguliers et de faible densité, sauf si elles sont calcifiées.
La tomodensitométrie permet de détecter des plaques plus fines et plus petites que la radiographie standard mais aussi de distinguer la fibrose pleurale de dépôts de graisse sous-pleurale ou d’insertions musculaires.
PLEURESIE ASBESTOSIQUE : bénigne, son diagnostic repose sur la confirmation d’une exposition à l’amiante et sur l’exclusion des autres causes de pleurésie, en particulier le mésothéliome.
AUTRES CANCERS
Un lien possible avec une exposition à l’amiante a été évoqué pour plusieurs sites extra-respiratoires de cancers. Le cancer du larynx est le site pour lequel le lien avec l’exposition à l'amiante est le plus suspecté.
Il s’agit, entre autres, du cancer du larynx, du cancer du système gastro-intestinal, en particulier de l’œsophage, de l’estomac et des intestins, ainsi que le cancer du rein.
Actuellement la prévention s’appuie sur une réglementation spécifique, notamment :
Mise en surveillance médicale spéciale des salariés exposés au risque (Arrête du 11/07/1977
Décret 96-97 du 7/02/1996 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis
Décret 96-97 du 7/02/1996 relatif la protection des travailleurs au risque sanitaire amiante et les arrêtes et circulaires d’application qui en découlent
L’arrêté du 13/12/1996 précise les moyens à mettre en œuvre par le médecin du travail pour la surveillance des salariés exposés à l’amiante
Évaluation du risque
Information en formation des salariés exposés
Conseil en termes de protection individuelle
Appréciation du risque par la visite des lieux de travail
Modalités de la surveillance médicale pendant son activité professionnelle et après l’exposition
LES GRANDES LIGNES DES ACTIONS PREVENTIVES SONT :
Protections collectives (confinement de la zone où un opérateur intervient sur l’amiante)
Protections individuelles (port de masque poussière lors des opérations ponctuelles ou de cagoule à adduction d’air pour des opérations lourdes
Surveillance radiologique et fonctionnelle respiratoire proposée en milieu du travail et dépistage les formes débutantes chez les salaries ayant été ou pouvant être exposés. Cette surveillance est prolongée après cessation de l’activité.
Merci Rakia, c'est donc moi qui assure la dernière partie de la conférence.
4è partie : l'amiante près de chez vous
Vous pensez peut-être que, depuis l'interdiction de cette matière, notre environnement en est exempt. Eh bien, vous avez tort !
Nous avons tous entendu parler du désamiantage de l'ancien bâtiment d'EDF, préalable à sa destruction. En fait, la plupart des bâtiments contiennent de l'amiante. Prenons l'exemple des bâtiments qui font partie du patrimoine de la commune. En cas de travaux, les services municipaux font réaliser un diagnostic sur la présence d'amiante, plus poussé que le diagnostic amiante réglementaire, qui ne s'intéresse qu'à l'amiante apparent, flocages et calorifugeages. En fait, on peut trouver de l'amiante dans les peintures, les plaques de plâtre, les colles à carrelage, ou les revêtements de sol, par exemple.
Entre 1970 et 1995, l'amiante chrysotile a été utilisé pour renforcer les enrobés de revêtement des chaussées et des trottoirs. Bien sûr, on ne l'utilise plus, mais des chaussées plus récentes ont incorporé des enrobés recyclés pouvant contenir de l'amiante. Depuis un décret de 2012, il y a obligation réglementaire de rechercher les produits amiantés avant toute opération sur la voirie. Les produits amiantés doivent être envoyés en décharge de classe 1. Mais on a découvert en 2013 que des granulés utilisés dans les enrobés contiennent naturellement de l'amiante actinolite, plus difficile à détecter !
Dans les voitures, on a utilisé l'amiante pour les plaquettes de frein, ou les disques d'embrayage.
Depuis 1 997, on peut penser qu'on ne voit plus beaucoup de patins de frein contenant cette matière. Mais en ce qui concerne les disques d'embrayage ? Mon garagiste auprès de qui j'ai enquêté me dit qu'il n'y en a plus beaucoup. Quand il en trouve sur des véhicules anciens, il les reconnaît facilement aux fibres de couleur claire dans la masse du disque ou du patin. Le ferrailleur qui le débarrasse fait le tri et envoie les déchets amiantés dans la filière spécialisée. Mais vous m'attendez sur les objets du quotidien.
Qui n'a jamais eu de gants anti-chaleur fourrés à l'amiante ? Et qu'en fait-on quand ils sont usés, que le tissu se troue et commence à relarguer son amiante ? Mais au moins, pensez-vous, on ne peut plus en acheter. Vous avez encore tort ! Décidément... Cette photo est extraite du site internet d'alibaba, comme vous pouvez le voir. Ce n'est pas pour lui faire de la publicité, mais pour signaler qu'une requête dans un moteur de recherche, du type « gants amiante » amène sur ce site, qui spécifie bien qu'il s'agit de gants à l'amiante produits en Chine ou en Inde. Que vous pouvez donc acheter et vous faire livrer. Et pourtant, le décret de 96 interdit cela.
La Direction Départementale de la Protection des Populations, alertée sur ce fait, répond que, citation, « aucun produit contenant de l'amiante ne devrait se trouver actuellement au stade de la commercialisation sur le marché français. Si vous avez connaissance de tels agissements de la part de société importatrice, vous pouvez transmettre ces informations à la direction départementale en charge de la protection des populations du département où se situe l'importateur. » Fin de citation. Et si on leur donne l'adresse de ce site, on n'a plus de réponse... La production d'amiante est interdite dans 52 pays dans le monde. Sur 200 environ ! La Russie, la Chine, le Brésil, le Canada et d'autres produisent annuellement 2,5 millions de tonnes d'amiante que l'on peut ainsi retrouver dans des objets achetés sur internet !
Mais il y a aussi les vieux objets d'avant l'interdiction. Dans nos cuisines, on peut encore trouver des grille-pain en amiante ou encore des protège-plats en amiante pur !
Nous avons eu également des appareils électriques contenant de l'amiante : fer à repasser (ici, un vieux fer de marque Calor), grille-pain, four, tous appareils qui utilisaient les propriétés d'isolation thermique ou de résistance mécanique dont nous a parlé Isabelle.
Et si vous avez un jardin, vous avez peut-être un cabanon recouvert d'un toit en amiante-ciment, plus connu sous le nom commercial de fibrociment ou encore sous la marque Eternit. C'est-à-dire en ciment qui contient de l'amiante.
Si vous possédez l'un ou l'autre de ces objets, comment vous en débarrasser ? Commençons par les plaques de fibrociment, ou tout autre produit intégré au bâti. Il n'y a pas d'autre solution que de les faire manipuler et éliminer par une société spécialisée : eux seuls possèdent les techniques et les équipements pour éviter leur contamination, ainsi que la dispersion de fibres dans l'environnement. On peut aussi se tourner vers les services municipaux, qui feront appel à une de ces sociétés, et présenteront la facture au propriétaire. La tentation est grande d'apporter ces déchets à la déchèterie d'Ivry.
Mais il faut savoir que le dépôt d'objets contenant de l'amiante y est interdit. Qu'en est-il des appareils électriques contenant de l'amiante ? La Communauté d'Agglo collecte les appareils électriques et électroniques une fois par mois dans notre ville. Ils sont ensuite envoyés dans le réseau Écosystème. S'ils contiennent de l'amiante, ils sont pris en charge par une filière de Véolia. Et les petits objets tels les gants anti-chaleur ou les pose-plats ? La Direction Départementale de la Protection des Populations, consultée par nos soins, nous répond que : « il est préférable de se rapprocher des services communaux chargés de l'élimination des déchets ». Mais il n'existe pas de service communal habilité à gérer ces déchets. La tentation est grande de les placer dans la poubelle verte ! On l'aura compris, il y a dans cette affaire trop d'incertitudes et d'approximations pour que nous envisagions de laisser les choses en l'état.
D'où notre proposition à la municipalité :
Nous suggérons la création d'un service municipal qui soit à même de prendre en charge les objets amiantés et de les acheminer dans les filières appropriées. En raison des difficultés budgétaires mises en avant par la municipalité, nous ne proposons pas que ce service soit gratuit, mais au moins qu'il soit subventionné, c'est-à-dire que les particuliers n'aient qu'une part restant à leur charge à verser pour l'élimination aussi propre que possible de ce poison dont nous avons parsemé notre environnement. Ce service peut aussi bien être organisé au niveau de la communauté d'agglomération.
Nous sommes persuadés qu'il convient également de faire un effort d'information en direction des populations, effort dans lequel notre association est prête à prendre sa part : articles dans Villejuif Notre Ville et sur le site web de la ville, rédaction d'une plaquette explicative disponible à divers endroits dans notre ville.
Nous avons terminé notre présentation, vous pouvez bien sûr nous poser les questions que vous souhaitez, même si nous ne sommes pas sûrs de pouvoir répondre à toutes. Mais nous avons annoncé une conférence-débat, il n'y a aucune raison que vous vous limitiez à des questions, n'hésitez pas à donner votre point de vue, à faire part de votre expérience éventuelle, de vos propositions, nous vous en remercions par avance.