AU SUJET DES SOUFFLEUSES DE FEUILLES



Aucun doute : vous vous demandez ce que viennent faire les souffleuses de feuilles dans les préoccupations environnementalistes. Vous avez raison de vous poser la question. Question à laquelle nous allons tenter de répondre, parce qu'il y a un rapport, et même deux !


Notre association a pour raison sociale la lutte contre les risques technologiques auxquels nous sommes confrontés dans notre ville. Parmi nos thèmes de travail, le bruit et ses dangers pour la santé humaine prend une place non négligeable. Nous nous sommes dotés de deux sonomètres afin de pouvoir nous faire une idée précise du problème, par des mesures in situ. C'est au cours d'une de ces promenades en ville que nous nous sommes trouvés à côté d'un agent municipal maniant une souffleuse de feuilles. Environ à 1 mètre de l'appareil, nous avons mesuré 92 dB. Est-ce grave ou pas ?


Pour en discuter, voici quelques éléments d'information. D'abord, le décibel (dB) est une unité de niveau sonore. Tout le monde a entendu parler de quelques valeurs. Par exemple, pour s'endormir, il faut moins de 30 dB. Dans une rue bruyante on mesure environ 80 dB. A côté de soi, le klaxon d'une voiture produit 100 dB. A 100 m, le décollage d'un avion peut produire 130 dB. On trouvera plus de détails sur cette page du site de Bruitparif.


Au-delà de 80 dB, notre oreille réagit en minimisant le lien entre les osselets de l'oreille moyenne de façon à diminuer le signal qui arrivera à l'oreille interne. C'est le réflexe stapédien. C'est pourquoi on parle pour cette valeur de seuil de risque. A partir de 90 dB, des cellules de l'oreille interne commencent à mourir, et c'est un phénomène irréversible qui se traduit par une perte d'audition. C'est pourquoi on parle alors de seuil de danger. Le site de Bruitparif indique explicitement ces seuils sur son diagramme. On trouvera plus de détails sur les mécanismes physiologiques à l’œuvre dans ces phénomènes sur cette page et des précisions sur les seuils dans cet article de Wikipédia. Enfin, on pourra voir comment nous avons traité le problème dans notre conférence grand public que l'on trouvera, sans les diapos, sur cette page de notre site.


Donc, à 92 dB, les souffleuses provoquent un niveau sonore dépassant le seuil de danger. Les agents chargés de leur mise en œuvre peuvent se protéger grâce à leur casque anti-bruit, mais tel n'est pas le cas des passants qu'ils croisent sur leur chemin. C'est pourquoi nous étions intervenu sur la question, lors d'une entrevue avec le maire, il y a déjà plusieurs années. Passons sur les remarques narquoises de ses collaborateurs. Lui-même nous avait dit qu'il demanderait une étude à ses services pour savoir si on peut s'en passer, mais il n'y a jamais eu de suite, et sans doute jamais d'étude.


Un de nos travaux plus récents porte sur la qualité de l'air. Nous nous sommes dotés d'un appareil mesurant la concentration en particules ultrafines, les PM2,5 et l'utilisons pour évaluer notre environnement atmosphérique dans différentes conditions géographiques et météorologiques. En passant dans une rue importante de notre ville, nous mesurions une concentration maximum de 16 µg/m3. Mais arrivés dans le sillage d'une souffleuse, nous avons mesuré 334 µg/m3 ! Est-ce grave ou pas ?


De nouveau, nous vous proposons quelques éléments d'information. Les particules véhiculées par l'air sont classées en grosses particules, celles qui sont visibles et sont arrêtées dans le nez et les fosses nasales, en particules fines, celles dont la taille est inférieure à 10 µm . Le micromètre (µm) est le millionième de mètre, ou le millième de millimètre. Pour en parler rapidement, on les nomme PM10. PM est le sigle anglais pour Particulate Matter. Elles sont arrêtées dans les bronches, et peuvent y provoquer bronchiolites et bronchites. Ensuite, il y a les particules dont la taille est inférieure à 2,5 µm, les particules ultrafines, les PM2,5. Ce sont les plus dangereuses puisqu'elles pénètrent jusqu'aux alvéoles pulmonaires et peuvent y provoquer des maladies pulmonaires graves, dont le cancer. Enfin, les particules de taille inférieure à 0,1 µm, ou 100 nm (le nanomètre est le milliardième de mètre, le millionième de millimètre, le millième de micromètre), qui sont tellement fines qu'elles peuvent passer la barrière pulmonaire et pénétrer dans le sang, se répandre dans tout l'organisme, perturber de nombreux organes et y provoquer des maladies graves. Si les PM10 sont réglementées au sens où leur concentration donne lieu à un seuil d'information et à un seuil d'alerte, tel n'est pas le cas des PM2,5 dont la seule réglementation indique que leur concentration ne doit pas dépasser 25 µg/m3 en moyenne annuelle. C'est la valeur à laquelle nous nous référons pour évaluer ce que signifient nos mesures. A 334 µg/m3, nous sommes très au-dessus de ce seuil ! On trouvera beaucoup de précisions sur ces questions sur le site d'Airparif et sur la façon dont nous avons traité cette question lors de notre conférence grand public, mais sans les diapos, sur cette page de notre site.


Nous avons décidé de nous adresser au maire (LE BOHELLEC), et lui avons demandé un rendez-vous qui a été repoussé une fois, puis annulé sine die, et depuis celui-ci ne nous a plus donné signe de vie, même pas en envoyant un accusé de réception aux messages que nous lui transmettions. Pourquoi ? Mystère ! Nous lui avons écrit pour lui proposer de ne plus utiliser ces appareils, sans plus de réponse...


Pourquoi nous focaliser sur ce problème, qui apparaît à première vue comme mineur au regard de problèmes bien plus importants auxquels nous avons à faire face (les pesticides et leurs perturbateurs endocriniens, la circulation routière, ses oxydes d'azote et son dioxyde de carbone, le nucléaire et ses centrales vieillissantes) ? Parce qu'il est à portée d'une association locale, et qu'il nous semble emblématique de l'état d'esprit de nombre de nos décideurs, politiques et chefs d'entreprises : après les débats lors de la période de confinement sur le jour d'après, sur la façon d'utiliser les leçons de cette période terrible, mais aussi où ont été expérimentées en vraie grandeur des variations importantes du fonctionnement de notre société, la tendance à en revenir au statu quo ante est très forte : « business as usual ! ». Beaucoup l'ont dit : il faut redémarrer l'économie comme le jour d'avant, comme s'il ne s'était rien passé, comme si nous n'avions pas bénéficié durant cette période d'un calme relatif sur le plan sonore, comme si nous n'avions pas respiré un air plus pur, même en région parisienne. Bref, comme si tout le monde aspirait à respirer l'air pollué d'avant le confinement.


De fait, la préfecture avait interdit l'usage des souffleuses durant cette période, au motif que les poussières ainsi mobilisées par ces appareils étaient potentiellement porteuses du coronavirus. Mais dès la fin du confinement, ces restrictions sont tombées, et les souffleuses sont ressorties. Mais, si les poussières peuvent être porteuses du coronavirus, elles peuvent également contribuer à la dissémination dans nos poumons des autres virus, comme celui de la grippe saisonnière, voire de bactéries pathogènes. Alors, pourquoi refaire les mêmes erreurs ? Pourquoi s'obstiner alors que la période où les agents municipaux nettoyaient la voirie avec un balai (et leur masque, mais sans casque anti-bruit) a prouvé à l'envi que ce mode de nettoyage convenait tout aussi bien ? De plus, il semble probable que le balai est moins lourd que la souffleuse. Mais nous ne nous posons pas en délégués syndicaux des agents.


Alors, convaincu(e)s de l'intérêt environnementaliste de cette question ? Pour notre part, nous remettrons cette question sur la table avec le maire nouvellement élu.



Juillet 2020