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C'est pas prouvé !


Dans notre activité associative, nous rencontrons souvent ce type d'affirmations : « c'est pas prouvé », « le monde scientifique n'est pas unanime », « la science n'explique pas tout », ou « aucune étude ne démontre la nocivité de... », etc. Encore récemment, dans le VNV de janvier 2021, nous lisons : « Pour l'heure, aucune étude n'a su démontrer avec certitude si les ondes des radiofréquences électromagnétiques avaient un impact nocif sur la santé... »


Depuis la publication d'ouvrages tels que « La Science asservie » d'Annie Thébaud-Mony (La Découverte) ou « Les Gardiens de la raison » de Stéphane FOUCART, Stéphane HOREL et Sylvain LAURENS (La Découverte également), nous avons compris que ces allégations sont en premier lieu élaborées par les lobbys constitués pour défendre les intérêts de telle ou telle industrie, même si cela se fait au dépens de la santé humaine. Il s'agit d'arborer une démarche qui se présente comme scientifique pour faire passer auprès du grand public l'idée que l'on peut continuer à utiliser tel ou tel produit, puisque sa nocivité n'est pas prouvée. De préférence, ce type de discours est appuyé par des scientifiques qui acceptent cette compromission pour quelques dollars de plus, pour eux-mêmes ou pour leur labo.


Nous avons rencontré ce type de discours dans de nombreux dossiers, comme l'amiante, les ondes pulsées de la téléphonie mobile, la radioactivité, et d'autres encore.


Pour essayer d'y voir plus clair, et surtout pour éviter au grand public, que nous espérons toucher par notre activité, de tomber dans les pièges ainsi tendus, nous souhaitons interroger ici la notion de preuve, et par conséquent celle de démarche scientifique.


Des faits et des théories.


Un fait d'observation peut-il être prouvé ? Oui, bien sûr ! Prenons quelques exemples.


La Terre tourne autour du Soleil. Face à l'affirmation contraire, celle-ci peut être prouvée. En effet, la parallaxe des étoiles proches ne peut s'expliquer que si la Terre décrit une orbite autour du Soleil, et donc si à partir de sa surface on observe à 6 mois d'intervalle les étoiles les plus proches avec un petit décalage par rapport aux objets les plus lointains. Observez une personne fixe à mi-distance entre vous et la façade d'une maison. Vous la voyez devant une fenêtre. Déplacez-vous de quelques pas latéralement. Vous voyez maintenant la personne observée devant la porte. Elle n'a pas bougé, c'est votre axe de visée qui n'est plus le même. C'est cela que l'on appelle la parallaxe, et c'est cela qui permet de prouver que la Terre s'est déplacée, et non le Soleil autour d'une Terre fixe, ce qui ne produirait aucune parallaxe.


Les éleveurs savent depuis des siècles sélectionner des races d'animaux, que ce soit les chiens, les vaches, ou les pigeons, afin d'obtenir telle ou telle caractéristique recherchée. Cette sélection artificielle renforce l'idée de sélection naturelle que l'on observe peu dans le monde vivant actuel, dans la mesure où les changements, et notamment l'apparition de nouvelles espèces, sont très lents, mais que l'on peut déceler sans problème dans les archives fossiles. Prenons un seul exemple : parmi les dinosaures, on voit progressivement apparaître les caractères des actuels oiseaux : d'abord l'apparition de plumes, puis l'aptitude au vol plané, et enfin le vol battu, avec l'archéoptéryx. Ceci sur des millions d'années. Conclusion : la sélection naturelle, et donc l'évolution, est un fait. Il est prouvé.


La question des théories scientifiques ne se traite pas de la même façon. Commençons par remarquer que ce mot de « théorie » a deux sens dans notre langue. Dans le langage courant, il est synonyme d'hypothèse. « Vous pensez que c'est Machin qui a assassiné Truc ? C'est votre théorie ! Ce n'est pas prouvé !» En sciences, une théorie est un ensemble cohérent de lois qui régissent un ensemble de phénomènes. C'est bien sûr cette seconde acception que nous utiliserons ici.


Concernant le mouvement des astres, la première théorie scientifique digne de ce nom est celle de Newton, la gravitation universelle. Elle a permis d'expliquer depuis le mouvement de chute des objets sur la Terre jusqu'au mouvement de la Lune autour de la Terre, de la Terre autour du Soleil, et aussi les mouvements de planètes comme Mars qui n'étaient pas expliqués par les élucubrations de Ptolémée et de ceux qui l'ont suivi : les mouvements devaient être des cercles autour de la Terre ! Pourquoi ? Parce que Ptolémée en avait décidé ainsi. Est-ce que la théorie de Newton était prouvée ? Elle rendait compte de l'ensemble des faits observés à l'époque. Mais des faits nouveaux, observés grâce à la mise en service d'instruments plus précis, n'étaient pas expliqués par la gravitation universelle. Par exemple, le mouvement de Mercure, qui présentait un petit décalage avec ce qui était prévu par Newton. En 1915, la relativité générale d'Einstein permit d'expliquer ce phénomène, ce qui a été vérifié rapidement. Elle expliquait aussi d'autres phénomènes découverts ensuite, comme la formation de lentilles gravitationnelles, l'existence des trous noirs, les ondes gravitationnelles, et l'expansion de l'Univers. Même si Einstein avait bidouillé ses équations pour que l'Univers soit aussi stable que dans sa conception. Il a ensuite dit que c'était la plus belle bourde qu'il avait jamais faite, quand on a découvert que l'expansion était un fait d'observation bien prouvé (par Hubble en particulier). La relativité générale englobait la gravitation universelle, qui en formait un cas particulier pour les vitesses faibles par rapport à la vitesse de la lumière, et pour les champs de gravitation pas trop intenses. Est-ce que la théorie d'Einstein était prouvée ? Elle rendait compte des faits observés à l’époque. Mais depuis, on a pu montrer que la matière connue n'explique pas le mouvement interne des galaxies, qu'il faut lui adjoindre un autre type de matière, inconnue, nommé « matière noire ». Et aussi que l'expansion de l'Univers s'accélère, en raison d'une énergie inconnue, qu'on appelle « énergie noire ». De nombreux astrophysiciens cherchent une théorie qui englobera la relativité générale et qui expliquera ces nouveaux phénomènes.


Concernant la sélection naturelle, la première théorie digne de ce nom est celle de Darwin : « L'Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle » (1859). Il a mis en lumière deux phénomènes indépendants : la « descendance avec modification », d'une part, et d'autre part la sélection naturelle qui fait le tri entre les modifications favorables à la survie des individus, et celles qui lui sont défavorables. Cette théorie rendait compte des faits d'observation connus à l'époque. Était-elle prouvée ? Un problème n'était pas réglé : qu'était-ce que ces « modifications » ? Darwin ne connaissait pas la génétique, découverte vers la même époque par le Polonais Mendel, mais dont les résultats n'avaient pas été répandus hors de son université. Les biologistes qui lui ont succédé ont intégré les acquis de la génétique à la théorie darwinienne, ce qui a donné la théorie synthétique de l'évolution. Était-elle alors prouvée ? Elle rendait compte des faits d'observation connus dans la première moitié du XXè siècle. Mais des faits nouveaux sont apparus, qui ont nécessité de nouveaux développements de la théorie, tels l'épigénétique. Il s'agit de l'influence de l'environnement qui, s'il ne modifie pas les gènes, peut influer sur leur expression ou au contraire leur inhibition. La théorie synthétique se devait d'intégrer ces nouveaux faits d'observation. Est-elle maintenant prouvée ? Il est très vraisemblable que de nouveaux faits d'observation rendront nécessaires de nouveaux développements de la théorie qui, une nouvelle fois, englobera ses versions antérieures.


Mais ce ne sont là que des exemples choisis dans les sciences « dures » (que des spécialistes des sciences humaines qualifient de sciences inhumaines). Prenons maintenant un exemple dans une de ces sciences humaines : l'histoire. Pendant plusieurs siècles, le procès de Galilée était relaté par une théorie bien établie : ce savant a été condamné par l’Église suite au procès conduit par l'Inquisition parce qu'il défendait dans ses écrits l'héliocentrisme prôné par Copernic. L’Église ne pouvait admettre cette conception dans la mesure où il est écrit dans la Bible que Josué a arrêté la course du Soleil pour avoir le temps de terminer une bataille. S'en est suivi en 1633 sa condamnation, son abjuration et son assignation à résidence pour le reste de sa vie. Cette théorie était-elle prouvée ? Dans la seconde moitié du XXè siècle, le Vatican déclassifie des documents relatifs à ce procès. Un historien italien, Pietro Redondi, étudie ces documents et acquiert la conviction que dans un premier temps l'Inquisition voulait instruire un procès en hérésie : Galilée défendait l'atomisme, ce qui allait à l'encontre du dogme, introduit au XIIIè siècle, de la transsubstantiation. Selon ce dogme, lors de la messe, le prêtre transforme effectivement le pain en corps du Christ, le vin en sang du Christ, même s'ils gardent les apparences du pain et du vin. L'atomisme allant à l'encontre du dogme, Galilée encourait l'accusation d'hérésie, et donc devait être brûlé en place publique. Ce serait le pape, ancien ami de Galilée alors qu'il n'avait pas accédé à cette fonction, qui aurait imposé à l'Inquisition la requalification de l'accusation en défense de l'héliocentrisme, auquel cas il risquait beaucoup moins, comme on l'a vu. Redondi publie ses découvertes dans son livre « Galilée hérétique ». Cette nouvelle théorie ne remet pas en cause les faits avérés par la façon dont s'est déroulé le procès, mais intègre un nouvel élément et en donne une vision plus large. Peut-être l'étude d'autres documents permettra d'avoir une interprétation encore plus large de cet événement emblématique des rapports entre la science et la religion.


Une théorie est donc susceptible d'évolution en fonction de nouvelles découvertes. Elle n'est jamais sûre à 100%, elle n'est que la meilleure description globale des phénomènes connus à un moment donné. Une des méthodes qui permettent les avancées scientifiques est celle du doute sur les théories en vigueur.


Il y a doute et doute.


Le doute est constitutif de la démarche scientifique. Dans l'Antiquité, si on me dit que la Terre est plate, je peux observer un bateau qui s'éloigne vers la haute mer, voir d'abord disparaître sa coque, puis progressivement le mât jusqu'à sa disparition complète. Je peux donc douter de la platitude, et défendre la rotondité.


Si je vis au XVIIè siècle, que je m'appelle Halley, et que j'entends dire que les comètes sont envoyées par les dieux pour annoncer des catastrophes, je peux en douter, observer la comète de 1682, déterminer les caractéristiques de son mouvement, fouiller les archives astronomiques, et en déduire que cette comète revient tous les 76 ans. Halley n'était plus là en 1758, année au cours de laquelle il avait prévu ce retour, mais la comète était là, confirmant sa prévision.


Si je suis un chercheur du XXIè siècle, je lis un article dans une revue scientifique. Les résultats me paraissent trop beaux pour être vrais, je peux douter de l'honnêteté du rédacteur, refaire ses expériences et mettre en lumière une fraude. Cela arrive malheureusement parfois, les chercheurs sont aussi des êtres humains, avec leurs qualités et leurs défauts.


Le doute permet de faire progresser la connaissance en remettant en cause les fausses évidences (le Soleil tourne autour de la Terre), les préjugés idéologiques (il existe des races humaines, et elles ne sont pas égales), les erreurs de raisonnement (si deux événements sont corrélés, alors l'un est la cause de l'autre), etc.


Mais les lobbys qui œuvrent pour promouvoir des produits ou des technologies potentiellement dangereuses mettent en avant le doute pour dire qu'il faut douter de ce qui est bien établi scientifiquement. Il faut douter du réchauffement climatique, ou du fait qu'il tienne son origine dans les activités humaines, il faut douter de la nocivité du tabac, du plomb, du mercure, de l'amiante, des particules fines, des pesticides, etc. etc. Ce doute pris dans l'arsenal de la démarche scientifique se retourne contre la science qu'il a permis de construire. Peut-on douter de tout ? Il faut plutôt apprendre à faire la part de ce qui est légitimement acquis et de ce qui est encore en discussion entre spécialistes de la discipline. Ce n'est pas toujours facile, mais l'histoire nous apprend à nous méfier des marchands de doute, derrière lesquels se cachent des marchands de produits et de technologies toxiques. Et ces marchands de doute nous traitent de militants anti-sciences pour tenter de discréditer notre engagement dans le sens de la préservation de la santé humaine et de celle des écosystèmes.


Sommes-nous anti-sciences ?


Les militants environnementalistes sont souvent qualifiés par leurs adversaires d'anti-sciences. S'élever contre les méfaits des pesticides, des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), de l'énergie nucléaire ou des nanoparticules, serait ainsi s'élever contre la science qui permet tous ces bienfaits, toutes ces avancées de l'esprit humain, et du niveau de vie de la population. Ce serait le fait d'Amish, de conservateurs, de rétrogrades, de passéistes. Les pesticides seraient indispensables pour nourrir l'humanité, les OGM aussi, sans le nucléaire nous reviendrions à la bougie, et bien d'autres fariboles. Ces arguments ne valent pas un pet de lapin, et sont faciles à démonter.


En effet, nous pouvons remarquer que la science nous permet de faire des centrales nucléaires, mais aussi des panneaux solaires, des éoliennes, des usines marémotrices, etc. La chimie permet les pesticides, mais l'agronomie la lutte intégrée (insectes prédateurs contre insectes ravageurs), la rotation des cultures, l'association des plantes qui se protègent mutuellement contre les agresseurs, etc. La biochimie sait faire les OGM, mais aussi les antibiotiques. Bref, les avancées scientifiques permettent plein de choses, diverses, voire contradictoires, mais c'est la société qui décide ce que l'on en fait. Enfin, les politiques qui la dirigent en notre nom. Nous savons faire des armes nucléaires, et nous avons vu le crime contre l'humanité que représente leur utilisation, mais le mouvement ICAN (Campagne Internationale pour l'Abolition des Armes Nucléaires) prend de l'ampleur, le traité qui en est issu a été ratifié par suffisamment de pays pour que les quelques pays qui le refusent toujours (ceux qui possèdent cette arme) se trouvent de jure au ban de la société mondiale.


Ce n'est donc pas être anti-science que de lutter contre des utilisations de nos connaissances que nous ne plébiscitons pas, pour lesquelles on ne nous a souvent pas demandé notre avis (le nucléaire en est un bon exemple), et dont les conséquences désastreuses en termes de santé publique sont avérées. Nous nous appuyons en revanche sur la science pour promouvoir des solutions alternatives aux problèmes que les premières sont censées résoudre. Et, dans ce domaine, le consensus scientifique est un élément important.


Le consensus scientifique.


Dans l'Antiquité, il y avait un très large consensus pour penser que le Soleil tournait autour de la Terre. Des penseurs comme Aristarque de Samos qui proposaient une vision héliocentrique étaient en toute petite minorité. Est-ce que cela faisait de cette opinion une vérité ? Certainement pas ! Et pourtant, le consensus était patent !


Mais il n'agissait pas d'un consensus scientifique. Cette opinion n'était pas basée sur l'observation des phénomènes, sur une démarche expérimentale, mais sur un a priori idéologique : les êtres humains sont ce qu'il y a de plus important au monde, donc ils sont au centre du monde, donc tout tourne autour d'eux. CQFD.


Aujourd'hui, on lit ou on entend qu'il y a un large consensus sur la question du réchauffement climatique et de son origine anthropique (produit par l'espèce humaine). Est-ce le même genre de consensus ? Certainement pas. Il est basé sur des études scientifiques nombreuses et variées, qui sont publiées dans des revues à comité de lecture. C'est-à-dire qu'ils sont relus avant publication par d'autres scientifiques qui épluchent tout afin de traquer la moindre approximation, la moindre erreur, voire la moindre tricherie. En dehors de quelques individus comme Claude Allègre ou Donald Trump, plus personne ne soutient le contraire de ce large consensus, parce qu'il est basé scientifiquement. Et si quelqu'un(e) doute de tel ou tel résultat, il peut refaire les expériences, les mesures. C'est ce que l'on appelle la reproductibilité de ces expériences.


La reproductibilité.


Si je vous dis : quand je lâche un objet, il tombe à la verticale, vous pouvez vous-même reproduire l'expérience : déterminer la verticale d'un lieu, lâcher un objet de ce lieu, et vérifier qu'il tombe bien à la verticale. L'expérience est reproductible. Si je vous dis que j'ai découvert que les morts par mésothéliome avaient des fibres d'amiante dans les alvéoles pulmonaires, vous pouvez vous-même autopsier des morts par mésothéliome et rechercher des fibres d'amiante. Si vous en trouvez, vous avez reproduit mon expérience, et confirmez que l'amiante produit le mésothéliome. Si je vous dis que j'ai découvert qu'une amulette comprenant des poils de bison protège de la radioactivité, vous pouvez placer une telle amulette sur un être vivant (mon conseil : n'essayez pas sur un être humain !), le placer dans un environnement radioactif, et constater qu'il est malade de cette radioactivité. Vous n'avez pas reproduit mon expérience, vous avez donc la preuve que j'ai raconté des bêtises.


Le fait qu'une expérience scientifique soit reproductible permet de faire le tri entre les expériences mal faites, mal conçues, mal interprétées, voire frauduleuses, et les expériences qui permettent de conclure.


Cela dit, il convient de ne pas mythifier non plus cette propriété de reproductibilité. Prenons la théorie des particules élémentaires. Durant des années, on a pu penser que l'on avait une théorie complète et aboutie des particules qui composent la matière. Un physicien nommé Higgs a montré en 1964 qu'il y avait nécessité, pour que cette théorie soit complète, qu'existe une particule non encore connue, un boson. On a cherché pendant des décennies. Et un jour, en 2012, une équipe de physiciens a annoncé avoir trouvé ce boson de Higgs. Peut-on leur faire confiance ? C'est simple : reproduisons cette expérience. Le problème, c'est qu'il s'agit d'une expérience de plusieurs années, qui a mobilisé plusieurs centaines de chercheurs, d'ingénieurs et de techniciens, et ce dans un appareil unique au monde, le grand collisionneur du CERN à Genève. Comment reproduire cela ? Pas dans votre garage en tous cas ! On est bien obligé de faire confiance à cette équipe où tout le monde était durant toute la durée de l'expérience à l'affût du moindre problème, de la moindre erreur, de la moindre approximation. En parlant d'approximation...


Un peu de statistiques.


Sur cette affaire de boson de Higgs, l'équipe découvreuse de cette clé de voûte de ce que l'on appelle le modèle standard est-elle sûre de son fait à 100% ? Eh bien non. Elle est sûre à 99,99997%. Elle accepte un risque de 3 sur 10 millions de se tromper. C'est tellement dérisoire que n'importe quel scientifique reconnaît ce résultat comme une certitude. Aussi bien les membres de l'équipe découvreuse que la communauté internationale, qui a salué ce résultat sans barguigner.


Faut-il en arriver à de tels niveaux de certitude pour conclure en sciences ? Non, heureusement. Les statisticiens ont mis au point des tests statistiques qui permettent aux spécialistes de différents domaines d'établir des résultats avec plus ou moins de certitude. Un résultat avec 10% de risques de se tromper, c'est-à-dire que le résultat puisse s'interpréter par d'autres raisons que la corrélation mise en lumière, est dit peu significatif. Avec 5% de risques de se tromper, il devient significatif . Avec 1% seulement, il est très significatif. Si l'on est en deçà de 1%, on décroche le pompon !


C'est ainsi que les épistémologistes réalisent des tests pour vérifier l'action de tel ou tel produit, généralement issu de l'industrie chimique, sur des organismes vivants, souvent des souris de laboratoire. Quand ils concluent à une corrélation avec 1% de risque d'erreur entre un produit, DDT, chlordécone ou bisphénol A par exemple, et une affection chez les êtres vivants, on peut raisonnablement penser que le lien est démontré. Mais cela vient un peu relativiser la notion de preuve que nous abordions au début de cette réflexion.


Puisque nous parlons ici d'expériences sur les animaux de laboratoire, interrogeons un peu cette question.


Le modèle animal.


Comment se fait-il que l'Organisation Mondiale de la Santé (l'OMS) classe certaines molécules cancérogènes certains pour l'animal, et cancérogènes probables pour l'homme ? Homo sapiens a-t-il un statut privilégié au sein du monde animal ? N'est-il pas plutôt bien intégré dans le monde animal, à tel point que nous expérimentons des traitements de telle ou telle affection sur des animaux avant de les tester sur l'Homme ?


En fait, pour étudier par exemple le lien entre telle molécule et telle forme de cancer, on injecte la molécule en question à des souris de laboratoire, on laisse agir quelques temps, puis on tue les souris, on ouvre, et on observe le résultat. Pas de cancer ? Cette molécule n'est pas cancérogène pour l'animal. Plein de cancers ? Cancérogène certain pour l'animal. Pouvons-nous imaginer de reproduire cette expérience chez des êtres humains ? D'élémentaires considérations éthiques nous l'interdisent. Et tant mieux ! Mais alors, puisque nous n'avons pas fait l'expérience, nous ne pouvons pas être aussi catégoriques que pour l'animal.


Et nous entendons d'ici les défenseurs de la fabrication et de la diffusion de la molécule en question clamer que si c'est probable, ce n'est pas certain, donc pas prouvé, donc on peut continuer à l'utiliser ! Il en est de même pour les ondes électromagnétiques pulsées de la téléphonie mobile : classées cancérogènes possibles par l'OMS, ce n'est donc pas certain, donc on peut continuer à l'utiliser, implanter la 5G, envisager déjà la 6G. Et celles et ceux qui se disent électrosensibles devraient plutôt voir du côté psychosomatique...


Puisque nous parlons d'expérimentation en matière d'épidémiologie, il faut savoir que ces expériences se font en double aveugle.


Le double aveugle.


Que signifie cette expression ? On constitue 2 groupes de personnes qui vont expérimenter, par exemple, un nouveau vaccin. Le premier groupe reçoit le vaccin à expérimenter, le second un produit sans action (par exemple du sérum physiologique). Les personnes ne savent pas si elles font partie du premier ou du second groupe, ils sont aveugles concernant cette information ; mais les chercheurs qui mènent l'expérimentation ne le savent pas non plus, ils sont également aveugles, d'où le « double aveugle ».


Ce protocole expérimental vise à éviter chez les cobayes une réaction psychologique qui, on le sait, peut influer sur la façon dont l'organisme va réagir (l'effet placebo), mais aussi qui peut induire chez les chercheurs une tendance à trouver ce que l'on cherche, même si ce n'est pas exactement le cas. Ce n'est qu'au terme de l'étude que les uns et les autres découvrent qui est dans quel groupe.


Cette méthode est très efficace pour éviter ce que l'on appelle les biais expérimentaux. Double aveugle ou pas, on aura compris qu'il faut constituer un groupe témoin pour pouvoir faire des comparaisons qui ont un sens. Mais même cela n'est pas toujours possible.


Groupe témoin.


Supposons que vous cherchiez à explorer le rôle des faibles doses de radioactivité dans la survenue de cancers. Il faudrait constituer un groupe de personnes exposées à des faibles doses, un groupe à pas de dose du tout. Mais ce n'est pas possible : tout le monde est exposé aux faibles doses de la radioactivité naturelle ! La méthode est inutilisable. Ainsi, si vous voulez vérifier que ce sont les activités humaines qui sont à l'origine du réchauffement climatique. Il faudrait une planète en tous points semblable à la nôtre, mais sans êtres humains, pour pouvoir faire la comparaison. Impossible ! Vous voulez savoir si tel pesticide provoque des cancers chez ceux qui le respirent ? Il faudrait constituer un groupe de personnes qui en seraient préservées. Quand on sait qu'aujourd'hui dans l'air des villes on trouve encore du lindane, pesticide interdit en France depuis 1998, la constitution de ce groupe est encore mission impossible. Dans tous ces cas on cherchera d'autres méthodes d'investigation qui permettront néanmoins faire progresser la connaissance, et de conclure.


Et l'on entend d'ici le chœur des marchands de doute nous dire que, si on ne peut pas faire cette expérience, on ne peut pas savoir, donc que ce n'est pas prouvé, donc qu'on peut continuer à utiliser ces produits...


Petite conclusion.


Espérons que ces petites réflexions permettront de prendre un peu de recul par rapport à des propos qui ont la couleur du discours scientifique, le goût du discours scientifique, mais qui n'en sont pas parce qu'ils ont été élaborés pour tromper celles et ceux qui les entendent, et peut-être vont les répéter en s'imaginant diffuser des propos avérés.


Allons plutôt chercher nos informations scientifiques auprès des scientifiques dont c'est le métier de les produire avec des méthodes contrôlées, plutôt qu'auprès de lobbyistes dont le métier est de produire du doute stérile, de la désinformation, et, quant au fond, du mensonge et de l'ignorance.

Se forger une opinion solide, argumentée, étayée sur la base d'études scientifiques, est certes plus difficile que d'acquiescer aux propos du dernier qui a parlé, ou de ceux qui confortent nos préjugés. mais c'est le prix à payer pour pouvoir agir efficacement, individuellement et collectivement, sur la réalité.

Il faut toujours réfléchir avant d'adhérer à telle ou telle idée séduisante. Y compris à propos de ce texte, que nous vous invitons à critiquer si vous pensez qu'il y a matière à critiquer, mais aussi à améliorer, à enrichir de vos propres réflexions et de vos expériences.



1ère version, mars 2021